La petite histoire du Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté

La formation du Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté s’inscrit dans la continuité du travail et des efforts de nombreuses personnes et organisations qui, depuis plusieurs années, œuvrent à contrer la pauvreté et à faire progresser la justice sociale au Québec.

Voici un bref résumé des moments et événements importants qui tissent la toile de fond de la naissance du Collectif:

  • Charte d’un Québec populaire (début des années 1990).
  • Marche des femmes contre la pauvreté qui porte neuf revendications (1995).
  • Année internationale de l’élimination de la pauvreté (1996).
  • À l’automne, juste avant le Sommet sur l’économie et l’emploi de Montréal, un large mouvement communautaire appuyé par des syndicats propose une clause d’appauvrissement zéro du cinquième le plus pauvre de la population. L’idée est bien accueillie par les participantEs au Sommet et par la population. Cependant, le gouvernement ne s’engage pas (1996).
  • Le slogan “De l’appauvrissement zéro à la pauvreté zéro” est lancé. Il devient clair que pour lutter efficacement contre la pauvreté et l’exclusion, il faut un processus avec un objectif, des moyens et un échéancier.
  • Idée d’un processus sur dix ans dans le cadre de la première Décennie des Nations Unies sur l’élimination de la pauvreté (1997).
  • En octobre 1997, en pleine lutte pour une réforme de l’aide sociale juste et décente, un groupe de Québec, le Carrefour de pastorale en monde ouvrier (CAPMO), lance l’idée d’un Projet de loi sur l’élimination de la pauvreté (1997).
  • Écriture et mise au jeu dans l’espace public par le CAPMO de ce qui devient une base de discussion qui pourrait mener à une projet de loi-cadre sur l’élimination de la pauvreté (automne 1997).
  • Découverte progressive, et après coup, dans les documents internationaux qu’on ne s’est pas trompés sur l’idée d’une loi-cadre (1998).
  • La Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence fait sienne l’idée et intègre à ses revendications que tous les pays se donnent une loi-cadre sur l’élimination de la pauvreté (1998). L’idée d’une loi-cadre comme moyen de lutter à la pauvreté s’appuie sur la même intuition de base qui anime la Marche des femmes, à savoir que pour y arriver, il faut être beaucoup à le vouloir et il faut modifier les cadres et les approches aux plans politique et économique par des propositions précises. Si les forces du marché et notre façon de vivre ensemble génèrent la pauvreté et l’exclusion, nous portons ensemble la responsabilité d’y remédier. Alors, c’est le pacte social et fiscal lui-même qu’il faut interroger, corriger et reformuler, avec les personnes pauvres et exclues.

La formation du Collectif

La base de discussion mise au jeu par le CAPMO en 1997 ne reste pas lettre morte. En effet,plus de 1 200 personnes issues de tous les milieux, dont plusieurs vivent la pauvreté, appuient alors l’idée et reconnaissent que le texte proposé pourrait constituer une bonne base de discussion. De même, plusieurs organismes locaux, régionaux et nationaux apportent leur appui et leur contribution au débat.

Pendant ce temps, dans plusieurs régions, des gens, des groupes continuent à promouvoir l’idée, à faire circuler le texte initial, à l’étudier, à recueillir des appuis, à donner leur opinion et à tester les outils en préparation en vue de la consultation à venir.

C’est dans le sillage de cet l’intérêt qu’en janvier 1998 un Collectif multisectoriel d’organismes et de regroupements québécois se forme. D’entrée de jeu, le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté se donne deux objectifs: obtenir une forte adhésion dans la population au principe d’une telle loi et faire en sorte qu’un maximum de personnes, dont des personnes en situation de pauvreté, participent à son élaboration.

Au départ le Collectif regroupe dix organisations :
ATD Quart Monde, Le Carrefour de pastorale en monde ouvrier (CAPMO), la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ), Le Centre de pastorale en milieu ouvrier (CPMO), la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Conférence religieuse canadienne – section Québec (CRC-Q), la Fédération des femmes du Québec (FFQ), le Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ), le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ) et le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ).

Aujourd’hui, après plus de deux ans d’existence, le Collectif regroupe 22 organisations, dont toutes les centrales syndicales québécoises ainsi que des organisations du milieu coopératif, religieux, communautaire et étudiant.

Formation d’une équipe

Conscient que pour que son projet acquière un poids politique il lui faut prendre le temps de susciter un vaste appui dans l’ensemble de la province, le Collectif met sur pied une équipe pour assurer la réussite de cette ambitieuse entreprise. C’est ainsi, qu’en janvier 1999, le Collectif engage cinq personnes (financement du Fonds de lutte à la pauvreté pour la partie stratégie de citoyenneté et éducation populaire) pour supporter le processus d’animation, la formation d’animateurs et de multiplicateurs, la saisie et l’analyse des résultats des discussions qui seront menées un peu partout. L’idée est de permettre à tous ceux et celles qui en entendront parler et qui le désireront de mettre l’épaule à la roue.

Le livre ouvert

La première facette de la démarche du Collectif pour paver la voie à une proposition de loi en bonne et du forme consiste à consulter le plus largement possible sur la base de discussion proposée par le CAPMO. Pour ce faire, des outils, réunis dans une trousse d’animation, sont crées et distribués. Ils rendent possible la compilation des commentaires recueillis auprès de plus de 5000 personnes consultées au cours de cette étape, qui s’étend de septembre 1998 à juin 1999. De plus, pour assurer l’animation de la consultation, des multiplicateurs et multiplicatrices sont formés. Par la force des choses, un réseau vaste, autonome et motivé se forme au cours de cette période et constitue, jusqu’à ce jour, le cœur qui permet au projet de loi de vivre et d’avancer.

Les dizaines de milliers de commentaires recueillis sont scrupuleusement et intégralement compilés dans la base de données du Collectif, surnommée le Chaudron par l’équipe. Cette compilation rend possible de synthétiser la phénoménale masse d’information recueillie au cours des dix précédents mois et permet au comité de rédaction de donner forme à la première version de la proposition de loi pour l’élimination de la pauvreté au cours l’été 1999. Le Collectif fait consensus à l’automne sur le texte de cette première proposition, qui est lancé officiellement le 9 décembre à l’occasion d’un rassemblement à la Bourse de Montréal.

Parallèlement à cette consultation, le Collectif fait circuler une pétition demandant une telle loi, afin de démontrer clairement au gouvernement l’appui que reçoit son projet. Au moment d’écrire ces lignes, le nombre de signatures recueillies s’élève à plus de 180 000, et le Collectif prévoit déposer la pétition à l’Assemblée nationale à l’automne 2000 lorsque 200 000 québécoises et québécois auront appuyé l’idée que le Québec se dote d’une loi cadre pour éliminer la pauvreté. À ces appuis individuels s’ajoute l’appui de plus de 1400 organisations de tous ordres: des cuisines collectives, des paroisses, des syndicats locaux, des chambres de commerce, mais aussi 18 villes majeures du Québec, plusieurs municipalités et municipalités régionales de comté, ainsi qu’un nombre croissant d’instances intermédiaires dans les secteurs de la santé, de l’éducation et du développement local.

Les sessions parlementaire populaires

La première étape franchie, le Collectif et son réseau entreprennent dès janvier 1999 la seconde phase de sa consultation, qui met la première version du texte en examen. Cette phase, qui prend la forme de sessions parlementaires populaires, est plus limitée que la première. Elle produit néanmoins près de 200 rapports de sessions qui regroupent souvent les commentaires de plusieurs personnes, voire de plusieurs groupes.

Encore ici, l’ensemble des opinions émises par les participantEs aux différentes consultations sont compilées dans une base de données et sont prises en compte par le comité de rédaction. Ce dernier s’adjoint à l’automne la participation d’un professeur de droit spécialisé dans la rédaction des lois, qui contribue à rendre le texte de la proposition conforme aux normes de la rédaction juridique. À terme, le comité présente une version qu’il veut finale.

C’est le matin du 20 avril 2000 que le Collectif et des délégués de son réseau, réuni à Québec en rencontre élargie, entérine cette version et en fait sa proposition de loi pour éliminer la pauvreté.

Au grand jour

Le lancement de cette version finale a lieu le 13 mai 2000 lors d’un rassemblement devant l’Assemblée nationale qui regroupe 2000 personnes de pratiquement toutes les régions du Québec. Au programme : chansons, discours (brefs) et revendications. Les participantes et participants adoptent par un vote à main levée symbolique la proposition de loi.

Un second geste symbolique est aussi posé en fin d’événement lorsqu’un arbre en pot est remis au premier vice-président de l’assemblée nationale. Cet arbrisseau représente la proposition de loi que les personnes présentes espèrent voir grandir dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Cette journée marque la fin de la première phase de l’existence du Collectif et le début d’une autre partie de son mandat, à savoir celle qui consiste à faire de cette proposition une véritable législation, à transformer ce rêve logique en une réalité.

La voie de ce lancement est pavée, deux semaines plus tôt, par le mouvement syndical québécois qui, d’une voix unanime, se range derrière le projet du Collectif. C’est à l’occasion du 1er, Fête internationale des travailleuses et travailleurs, que vient cet appui public sous la forme d’un Manifeste pour une société sans pauvreté, cosigné par les président-e-s des grandes centrales syndicales (CSN, FTQ, CEQ, CSD), par le président du Syndicat de la fonction publique québécoise (SFPQ), par une vice-présidente de la Fédération des Femmes du Québec, également représentante de Solidarité populaire Québec, et par la porte-parole du Collectif. Les signataires remettent ce manifeste en mains propres au premier ministre Lucien Bouchard le 1er mai, lors d’une rencontre où il est grandement question de la proposition de loi. Le chef du gouvernement promet alors de rencontrer une délégation du Collectif ultérieurement pour examiner en sa compagnie le contenu de la Proposition.

Sortir, parler, convaincre

S’engagent les préliminaires d’une éventuelle étape législative à l’Assemblée nationale. Déterminés à voir leur proposition de loi devenir un véritable projet de loi et pleinement conscients que la partie est loin d’être gagnée, les membres du Collectif entreprennent de “sortir, parler, convaincre” , proposition finale en main.

Cette tournée débute, dans la deuxième moitié de juin par des rencontres d’information auprès des caucus des trois partis représentés à l’Assemblée nationale: le Parti québécois (PQ) qui forme le gouvernement, la Parti libéral du Québec (PLQ) et l’Action démocratique du Québec (ADQ). Par la suite, au début juin, le chef de l’Opposition officielle (PLQ) reçoit à son tour la délégation du Collectif.

En marche avec les femmes

Après la période de vacances de l’été, la campagne reprend de plus belle, cette fois en alliance avec la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence. Cette alliance prend la forme d’une participation conjointe des deux organisations à une rencontre avec le Premier ministre Lucien Bouchard, fin août 2000, et par une journée nationale de signatures de la pétition du Collectif et de sensibilisation aux revendications de la Marche, à la fin septembre. Pour le début de l’automne, le Collectif se met ainsi en appui à la Marche mondiale des femmes, informant et mobilisant son réseau autour des activités et des manifestations qui se déroulent du 9 au 17 octobre.

Lors de la rencontre avec le Premier ministre, le Collectif et la Marche lui demandent de s’engager dans un processus propre à mener à l’adoption, par l’Assemblée nationale, de la proposition de loi pour l’élimination de la pauvreté que le Collectif met de l’avant. Lucien Bouchard s’engage alors à étudier en profondeur la proposition de loi-cadre mise de l’avant par le Collectif. Devant l’ampleur du dossier et la nécessité de bien arrimer toutes les dimensions soulevées par la proposition, le Premier ministre demande du temps pour en compléter l’étude.

M. Bouchard est également invité à démontrer le sérieux de son gouvernement en matière de lutte à la pauvreté en répondant positivement aux revendications québécoises de la Marche, ce qu’il ne fera pas. En effet, les réponses gouvernementales aux demandes du mouvement des femmes sont unanimement jugées insultantes, particulièrement en ce qui a trait aux mesures de lutte à la pauvreté qui sont si minimes qu’il n’est même pas possible de parler de geste symbolique de la part du gouvernement du Québec.

215 307 signatures pour un Québec sans pauvreté

Pour sa part, la journée nationale de signatures a comme objectif de faire franchir au Collectif le cap des 200 000 appuis à sa pétition. Cet objectif est atteint, puisque le 13 octobre, la 200 000ième signature est officiellement compilée dans la base de données du Collectif en présence de volontaires de la région et des médias. De manière très appropriée, alors que la Marche mondiale des femmes bat son plein, c’est d’un groupe de femmes de Montréal que provient cette signature.

Ce sont, en bout de compte 215 307 signatures, que dépose le Collectif à l’Assemblée nationale, le 22 novembre 2000. Voulant bien marquer ce moment clef dans sa démarche, le Collectif concocte une journée mémorable autant pour les personnes participantes que pour les parlementaires. Une chaîne humaine haute en couleurs, formée de 215 personnes, transmet dans 215 boîtes les plus de 215 000 signatures aux députéEs qui les déposeront. Fait inusité, ce sont trois députéEs de trois formations politiques rivales, mettant temporairement de côté la partisanerie, qui procèdent à un dépôt conjoint en chambre. Près de deux cent personnes sont admises dans l’Assemblée nationale pour assister au dépôt, soit dans les tribunes du public ou sur écran dans une des salles de commission.

Le même jour, de sa propre initiative, le député de Laurier-Dorion (PLQ) dépose une motion proposant ” que l’Assemblée nationale demande au gouvernement du Québec de procéder à l’adoption d’une loi-cadre visant l’élimination de la pauvreté sur la base des objets, principes et des objectifs de la proposition mise de l’avant par le Collectif pour [sic] l’élimination de la pauvreté. ” Cette motion est finalement amendée et diluée par le parti au pouvoir, qui détient la majorité des voix, pour devenir la demande d’une ” stratégie globale de lutte à la pauvreté ” s’inspirant de ” quelques principes ” du Collectif.

En route vers le prochain budget

Nullement démonté par cette réticence gouvernementale, le Collectif commence, aussitôt la pétition déposée, la suite de sa campagne. Dans sa mire : le prochain budget du gouvernement du Québec. En conséquence le Collectif annonce des demandes budgétaires, réclame une rencontre pré-budgétaire au Ministre des finances et se prépare à amorcer une tournée des régions du Québec pour expliquer et diffuser son analyse budgétaire qui s’appuie sur les principes de sa proposition de loi.

À suivre…