Lettre au député Christos Sirros qui vient de quitter l’Assemblée nationale

Bonjour Christos,

Nous avons appris hier votre départ de l’Assemblée nationale du Québec. Nous avons retrouvé dans votre discours l’intégrité du député que nous avons eu l’honneur de côtoyer à partir de l’automne 2000, à commencer par les semaines précédant le dépôt de notre pétition à l’Assemblée nationale pour requérir une loi sur l’élimination de la pauvreté sur la base de notre proposition jusqu’à l’adoption de la loi 112 et après.

Nous voulons aujourd’hui saluer un grand parlementaire. Si le projet que nous portions alors – et que nous continuons de porter autrement dans un autre contexte – a avancé au sein de l’Assemblée, c’est notamment parce que ce grand parlementaire a pris sur lui de faire ce qui lui paraissait juste. En cherchant comment vous exprimer cette conviction, il me revient cet extrait d’un discours de Victor Hugo que vous nous aurez peut-être vu faire circuler :

«Messieurs, je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. Je ne dis pas diminuer, limiter, circonscrire… Détruire la misère ! Oui, cela
est possible. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse… Tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli. […] Je voudrais que cette
Assemblée, majorité et minorité, n’importe, je ne connais pas, moi, de majorité et de minorité en de telles questions, je voudrais que cette Assemblée n’eût qu’une
seule âme pour marcher à ce grand but, l’abolition de la misère !

Je ne m’adresse pas seulement à votre générosité, je m’adresse à ce qu’il y a de plus sérieux dans le sentiment politique. Vous n’avez rien fait tant que le peuple souffre. Vous n’avez rien fait tant qu’il y a au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère ! Vous n’avez rien fait, tant qu’usure dévore nos campagnes, tant qu’on meurt de faim dans nos villes, tant qu’il n’y a pas de lois fraternelles. Messieurs, songez-y,
faites maintenant des lois contre la misère !»

Extraits du Discours sur l’abolition de la misère prononcé par Victor Hugo à l’Assemblée législative française, le 9 juillet 1849.

Nous sommes très loin encore au Québec d’une société que nous pourrions dire sans pauvreté. Il y a beaucoup de travail à faire encore à l’Assemblée nationale, au
gouvernement et dans la société québécoise, pour libérer l’espace politique et économique des préjugés qui empêchent les choix et les transformations nécessaires à la
réalisation effective pour toutes et tous des droits reconnus à toutes et tous. Les derniers jours nous l’ont rappelé amplement.

Toutefois, nous pouvons dire que l’Assemblée nationale du Québec aura vu en votre personne un de ses députés appeler ses collègues à la tâche, ceux et celles de la majorité comme de la minorité. Vous nous léguez des interventions, désormais inscrites dans les transcriptions des débats et dans l’histoire parlementaire québécoise, qui ont encore une
grande actualité.

Nous ne pouvons qu’espérer que cette Assemblée, la majorité comme la minorité, même si ce ne sont plus les mêmes, agisse sans plus tarder pour donner suite à ceux de vos
appels qui sont restés sans réponse. Pensons entre autres à l’indexation complète de l’ensemble des prestations d’aide sociale et au rétablissement, pour les personnes assistées sociales et les personnes recevant le supplément de revenu garanti, de l’accès gratuit aux médicaments qui leur sont prescrits.

Sur la voie de la justice et de la paix, les pas de l’humanité sont incertains, avançant et
reculant au point parfois de confondre l’espérance elle-même. À l’Assemblée nationale, vous aurez été de ceux qui optent pour tenter d’avancer.

Cette posture vous honore. Et nous rappelle à notre dignité.
Bonne route !

Vivian Labrie pour le Collectif