LE PLAN D’ACTION GOUVERNEMENTAL DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

En avant, en arrière, de côté

Les militantEs sociaux à l’extérieur du Québec auront été impressionnés par le plan d’action et par l’impact de la loi sur la pauvreté qui en imposait la publication. Comment, sans cette loi, aurait-il pu arriver qu’un gouvernement de droite dans sa première année au pouvoir investisse la majeure partie de 2,5 G$ sur cinq ans en amélioration directe du revenu de personnes en situation de pauvreté ? Ils et elles auront noté la transformation assez exemplaire de la fiscalité des familles vers un système universel d’allocations familiales avec une composante respectable pour les familles à faible revenu. De même que la prise de distance par rapport à l’approche de workfare qui prédomine presque partout ailleurs en Amérique du Nord.

Les militantEs québécoisES auront aussi remarqué l’absence de cibles de couverture des besoins essentiels et de sortie de la pauvreté, la détérioration des revenus des plus pauvres, l’insuffisance de la protection des prestations d’aide sociale, l’incohérence dans le fait de miser sur l’emploi comme voie de sortie de la pauvreté sans agir sur la pauvreté au travail, incluant un salaire minimum qui sorte de la pauvreté, et sans budgéter les mesures d’aide à l’emploi que cela suppose.

Ajoutons le flou de plusieurs mesures annoncées, l’absence de réponses à des demandes très urgentes et peu coûteuses comme le rétablissement de la gratuité des médicaments à l’aide sociale, le défaut de mettre en place les institutions de suivi prévues par la loi, le silence sur la participation citoyenne. Et l’effet mañana : presque toutes les mesures intéressantes commenceront en 2005, voire au-delà.

Le plan d’action gouvernemental tant attendu en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, Concilier liberté et justice sociale : un défi pour l’avenir , publié le 2 avril dernier, 11 mois après la date fixée par la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale , de même que les mesures budgétaires qui l’accompagnent, font effectivement tout cela : des pas en avant, en arrière, de côté.

Du meilleur et du pire

Le plan d’action répond très imparfaitement aux exigences de la loi… et il améliorera effectivement les conditions de vie de milliers de personnes. Sauf que l’amélioration est sélective, avec du meilleur et du pire qui prennent une valeur symbolique sur l’axe «bon pauvre/mauvais pauvre» à la base de bien des préjugés. Le meilleur : l’impact maximal des améliorations apportées se situe au niveau des familles au salaire minimum avec deux enfants qui verront leur revenu disponible augmenter de 5 030 $ en 2005 suite notamment à l’introduction des mesures Soutien aux enfants (1 750 $ de plus) et Prime au travail (2 750 $ de plus), pour un revenu disponible total de 26 790 $. Une augmentation qui va paraître pour vrai dans le revenu de ces familles, mais qui se trouvera hypothéquée par les pertes de services et hausses de tarifs de la dernière année.

Le pire se situe au niveau des plus pauvres parmi les pauvres : les personnes à l’aide sociale, sans enfant, aptes au travail et sans revenu de travail, qui verront leur revenu continuer de se détériorer suite à la décision, sciemment prise au nom de l’incitation au travail, de n’indexer leur prestation déjà trop basse qu’à la moitié du taux retenu pour les autres ménages. Leur revenu annuel augmentera en 2005 d’un maigre 36 $, avec une prestation mensuelle qui passera de 533 $ à 536 $. Pour moins de pouvoir d’achat. Qui peut vivre au Québec avec si peu ?

Rappelons que la prestation d’aide sociale de base, qui était de 440 $ en 1985, devrait valoir plus de 700 $ en 2004 si on en avait maintenu le pouvoir d’achat. Les omissions d’indexation successives l’ont dévaluée par défaut. Il est inacceptable qu’un plan d’action destiné à lutter contre la pauvreté consacre cette pratique, contraire à la loi. Celle-ci stipule que les revenus et les conditions de vie des personnes doivent s’améliorer. Le gouvernement aura fait passer l’incitation à l’emploi avant la couverture des besoins essentiels. Un choix coûteux pour le sentiment de justice et la santé publique.

Vers la prochaine génération de programmes sociaux et fiscaux ?

Faire progresser le régime social et fiscal actuel en direction d’un Québec sans pauvreté aurait supposé les grands redressements suivants au niveau de l’approche des revenus des individus et de leur interdépendance dans la production et la distribution de la richesse.

-1.Garantir les prestations d’aide sociale à leur niveau actuel de toute coupure ou pénalité pouvant les réduire davantage.

-2.Rehausser les prestations d’aide sociale à un niveau socialement acceptable de couverture des besoins essentiels (seuil de couverture des besoins essentiels) et garantir également cette couverture de toute réduction.

-3.Positionner le salaire minimum à un niveau socialement acceptable de sortie de la pauvreté (seuil de sortie de la pauvreté) pour une personne seule travaillant à temps plein.

-4.Relever les seuils d’imposition nulle du fédéral et du provincial au seuil de sortie de la pauvreté (baisse d’impôt ciblée).

-5.Compléter les revenus personnels entre le seuil de couverture des besoins essentiels et le seuil d’imposition nulle (aides publiques variées : supplément pour formation, insertion, activité, cumul des revenus, etc.).

-6.Améliorer la progressivité du régime fiscal des particuliers et des sociétés pour que la contribution permette un financement adéquat des dépenses publiques.

Tout ceci complété bien sûr par des services publics de qualité ainsi que par des actions de protection et de développement du bien commun que dispense un État instrument des solidarités, dont des normes du travail solides.

Le plan d’action et le récent budget amorcent des pas de système sur quelques-uns de ces six points, mais de façon discontinue et cahoteuse, cumulant ainsi avancées et effets pervers possibles. On ne fixe ni seuil de couverture des besoins essentiels, ni seuil de sortie de la pauvreté à atteindre. Ces références sont donc perdues et leur atteinte laissée au hasard de l’évolution des revenus des personnes.

-1.Les pénalités pour refus de mesure sont éliminées à l’aide sociale, mais les prestations ne sont pas garanties pour autant de toute coupure. Les coupures compensatoires pour trop perçus de diverses natures restent.

-2.La couverture des besoins essentiels n’est pas recherchée explicitement. Elle reste possible par l’amélioration des revenus, mais elle n’est pas programmée.

-3.Rien n’est prévu pour amener le salaire minimum à temps complet à la sortie de la pauvreté.

-4.L’évolution des seuils d’imposition nulle est difficile à évaluer à partir des mesures annoncées.

-5.La Prime au travail opère un début de rectification du traitement du revenu entre la prestation d’aide sociale de base jusqu’au-delà du seuil d’imposition nulle. En gros, les gains de travail permis sont annualisés. Le plateau subséquent où chaque dollar supplémentaire est présentement totalement déduit de la prestation reçue est transformé pour faire en sorte qu’il reste toujours quelque chose de chaque dollar gagné. Le revenu continue ensuite d’être bonifié jusqu’à l’atteinte d’un revenu de 15 000 $ pour les personnes seules et de 42 000 $ pour une famille de deux adultes et deux enfants.

Pour les personnes sans enfant, la transformation est symbolique. Pour les familles, elle est plus substantielle. Son principal intérêt est de sortir le soutien aux revenus de travail des stigmates de l’aide de dernier recours pour le rendre accessible à tous les ayant droit sur la simple base du rapport d’impôt. Son principal danger est d’encourager le travail à bon marché si on ne l’accompagne pas de mesures pour confronter les employeurs à leur responsabilité de fournir des conditions de travail qui sortent de la pauvreté.

-6.La progressivité du régime d’imposition n’est pas augmentée.

Il y a donc un bon défi de discernement. Ce défi se simplifie si, de l’évaluation, on passe à la suite : quels doivent être les pas suivants pour l’action citoyenne ? C’est sans doute la question la plus importante. Les annonces récentes laissent peu de doutes sur les enjeux «post-plan d’action» : une sécurité du revenu qui couvre les besoins essentiels, à commencer par sa pleine garantie et indexation, et un salaire minimum qui sorte de la pauvreté. Que faudra-t-il entreprendre, en raison et en conscience, pour avancer maintenant dans cette direction ? Que disait donc cette vieille rengaine de marche ?

«En avant, en arrière, de côté… Ensemble !»

Vivian Labrie,
Collectif pour un Québec sans pauvreté, 18 avril 2004