30 novembre 2018 Lettre ouverte

Lutte contre la pauvreté: Un silence de plus en plus inquiétant

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le nouveau gouvernement québécois a su réduire les attentes en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté. La Coalition avenir Québec (CAQ) a ignoré l’enjeu en campagne électorale et son programme était pratiquement muet sur la question. Même silence lors du discours inaugural de premier ministre. Le peu que nous savons sur les intentions du gouvernement, nous le devons à un questionnaire que le Collectif pour un Québec sans pauvreté a soumis aux différents partis en campagne électorale.

Ainsi, tout porte à croire que la lutte contre la pauvreté restera loin des priorités du gouvernement, et monsieur Jean Boulet, le nouveau ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, n’a rien fait pour dissiper cette impression depuis qu’il est en poste. Pourtant, plusieurs dossiers méritent son attention.

(Lettre ouverte de Virginie Larivière et Serge Petitclerc, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté, publiée dans La Presse+ le 30 novembre 2018)

 Revenu de base

Le programme de Revenu de base est la mesure phare du troisième plan gouvernemental de lutte contre la pauvreté, déposé en décembre 2017. Malgré ses nombreuses imperfections, il représente la possibilité pour les personnes avec des contraintes sévères à l’emploi de toucher un revenu annuel d’environ 18 000 $, ce qui pourra éventuellement leur permettre de couvrir leurs besoins de base tels que définis par la Mesure du panier de consommation (MPC).

Le principal problème avec ce programme est le délai de carence de 66 mois imposé aux personnes pour confirmer leur admissibilité. À ce sujet, dans ses réponses au questionnaire du Collectif, la CAQ s’est dite « ouverte à identifier des situations qui mèneraient à bénéficier directement du revenu de base. Par exemple, nous pouvons penser aux personnes qui sont à la charge du Curateur public ou bien encore aux enfants lourdement handicapés atteignant la majorité ».

Devant cela, le Collectif espère tout d’abord que le gouvernement édictera rapidement le règlement visant la mise en oeuvre du programme de Revenu de base. Cela est nécessaire notamment pour confirmer les augmentations de prestation prévues pour les personnes admissibles. De plus, le Collectif espère que le ministre Boulet tiendra compte des recommandations soumises au ministre sortant en commission parlementaire. À titre d’exemple, pourquoi ne commencerait-il pas par abolir le « purgatoire » de 66 mois pour tout le monde au lieu de viser seulement les « enfants lourdement handicapés » et les personnes sous curatelle publique ?

Aide sociale et programme Objectif emploi

Actuellement, avec un revenu disponible annuel d’un peu plus de 9 000 $, les personnes assistées sociales jugées sans contraintes à l’emploi couvrent à peine la moitié de leurs besoins de base selon la MPC. Que compte faire la CAQ pour aider ces personnes à couvrir leurs besoins de base ? Pour toute réponse, elle nous dit que « le Programme objectif emploi, qui offre un plan d’intégration à l’emploi, tout en assurant un revenu, est le meilleur outil pour retrouver une autonomie financière. »

Ici, la CAQ ne répond que très partiellement à la question vu que le programme Objectif emploi ne s’adresse qu’aux personnes faisant une première demande d’aide sociale. Mais cette réponse nous confirme, d’une part, que l’approche coercitive et les pénalités financières propres à ce programme continueront d’être privilégiées par le gouvernement pour pousser les personnes à se trouver un emploi le plus rapidement possible. Le ministre est-il au courant que cette approche a été dénoncée par des centaines d’organisations, par 300 professeurEs universitaires, par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ? Pourquoi ne laisserait-il pas tomber les pénalités financières qui menacent de pousser des gens à la rue ?

D’autre part, cette réponse de la CAQ semble fermer la porte à une possible augmentation du revenu des personnes assistées sociales jugées sans contraintes à l’emploi. Difficile d’espérer une augmentation plus importante que les 10 $ mensuels consentis par le gouvernement sortant pour chacune des trois prochaines années. Pourquoi les personnes jugées sans contraintes à l’emploi ne mériteraient-elles pas elles aussi un revenu à la hauteur de la MPC ?

 Salaire minimum et pensions alimentaires pour enfants

Outre les programmes d’aide de dernier recours, le questionnaire du Collectif portait aussi sur l’augmentation du salaire minimum à 15 $ l’heure. Nous comprenons de la réponse de la CAQ que le nouveau gouvernement n’a pas l’intention d’en faire plus que le gouvernement sortant pour les travailleuses et travailleurs au bas de l’échelle.

« La CAQ estime que le salaire minimum doit être augmenté de manière progressive et constante annuellement et que la meilleure solution pour augmenter le revenu moyen des familles demeure la réduction du fardeau fiscal et la création d’emplois de qualité et mieux payés. » Faut-il en déduire que le ministre Boulet trouve normal que des personnes travaillant à temps plein au salaire minimum n’arrivent pas à sortir de la pauvreté ?

Ensuite, pour régler une injustice qui n’a que trop duré, « un gouvernement de la CAQ exclura les pensions alimentaires pour enfants du calcul des prestations d’aide sociale, de l’aide financière aux études, du soutien au logement ainsi que de l’admissibilité à l’aide juridique ». Dans ce dossier, le Collectif espère que le nouveau gouvernement passera enfin à l’action, contrairement à ceux qui l’ont précédé. Rappelons qu’il s’agit de son seul engagement ferme en matière de lutte contre la pauvreté. Le ministre est-il prêt à mettre fin tout de suite au détournement des pensions alimentaires ?

Une belle façon de se démarquer

En tant que porte-parole du Collectif, nous avons hâte de rencontrer le ministre Boulet pour discuter de ces dossiers. Bien sûr, comme nous le faisons toujours avec les nouveaux éluEs, nous en profiterons pour lui rappeler qu’au Québec, il existe une loi visant à lutter contre la pauvreté.

Adoptée en 2002, celle-ci n’a tout simplement pas donné les résultats escomptés, faute de volonté politique. En effet, la pauvreté n’a pas vraiment reculé au cours des 16 dernières années: bon an, mal an, il y a une personne sur dix qui ne couvre pas ses besoins de base au Québec, soit environ 800 000 personnes.

Un coup de barre est nécessaire, et c’est pour cela que nous tenons à rappeler au ministre qu’il a la responsabilité de viser la sortie de la pauvreté pour l’ensemble des Québécoises et des Québécois.

Notre dernière question va de soi : est-il prêt à assumer cette responsabilité ? Ce serait assurément le meilleur moyen de se démarquer de ses prédécesseurs.

Document relié