21 décembre 2017 Extraits choisis

Réactions au dévoilement du troisième plan de lutte à la pauvreté

Front commun des personnes assistées sociales du Québec

Sous la menace d’Objectif emploi, les personnes pourraient se retrouver avec 404 $ par mois. Pour Denyse Thériault, bénévole engagée vivant la pauvreté, cette approche est un recul de plus de 30 ans : « Quand j’étais sur l’aide sociale, les mesures forcées ont nui à ma santé et me causaient un grand stress de sorte que maintenant je ne peux plus travailler. À ce moment, si j’avais eu plus d’argent, j’aurais aussi pu garantir de meilleures conditions à mes enfants plutôt que d’avoir à faire des choix difficiles. Je ne souhaite cette situation à personne ». Le 3e plan de lutte est un échec, juge le FCPASQ, car il laisse des centaines de milliers de personnes sans ressources supplémentaires pour vivre décemment. D’autres mesures peu coûteuses auraient pu être mises en place comme conserver des pensions alimentaires pour les enfants, garantir le plein chèque pour les personnes vivant en couple et augmenter significativement les gains de travail permis. (communiqué du 10 décembre 2017)

Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec

« Si le ministre Blais avait vraiment voulu lutter contre la pauvreté des familles monoparentales, cesser de détourner la pension alimentaire des enfants qui vivent avec un parent assisté social ou bénéficiaire des prêts et bourses aurait été une excellente façon. Malheureusement, il a encore manqué de volonté politique… », se désole Sylvie Lévesque, directrice générale de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec. « Pourtant, ça fait 20 ans cette année que les pensions alimentaires pour enfants ne sont plus considérées comme un revenu imposable, tant au fédéral qu’au provincial. Il serait plus que temps qu’on cesse de les considérer comme un revenu dans les programmes sociaux ! », s’indigne la directrice générale de la Fédération. (communiqué du 10 décembre 2017)

Fédération des femmes du Québec

Alors que le gouvernement fixe le montant de l’aide sociale à seulement 55 % de la MPC et donc à la moitié des besoins essentiels, il est reconnu que maintenir les personnes dans une précarité extrême nuit à leur santé physique et mentale. Il est par la suite, plus difficile d’intégrer le marché de l’emploi. « Pour des femmes, cela veut souvent dire être contraintes de rester dans des situations de violence, d’abus, de travail non désiré : conjoint violent, logeur qui exige son tribut en faveurs sexuelles, activités sexuelles lucratives non souhaitées, employeurs harcelants », dénonce Gabrielle Bouchard, présidente de la FFQ. « Beaucoup de femmes sont dans une situation où elles ne peuvent pas faire valoir leurs droits : la barrière de langue, une situation irrégulière à l’immigration ou à l’état civil, de mauvaises expériences antérieures avec l’administration deviennent autant d’obstacles insurmontables. » (communiqué du 15 décembre 2017)

Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec (FTQ)

«La pauvreté n’attend pas, Québec devrait hausser immédiatement les prestations pour toutes les personnes. Le coût des biens et des services ne cesse d’augmenter de même que les loyers, par exemple», déclare le président de la FTQ, Daniel Boyer. «C’est un peu loufoque, pour ne pas dire déprimant, que le gouvernement accorde des bonis de 105 $ aux médecins pour qu’ils se présentent à l’heure dans les salles d’opération alors que les prestations de base pour les personnes aptes au travail représentent six journées de ces bonis dont bénéficient les médecins. C’est indécent!», ajoute le président. «En ce qui a trait aux autres mesures prévues dans son plan de lutte, il faut reconnaître qu’il s’agit d’un pas en avant, mais que c’est nettement insuffisant. Pour véritablement lutter contre la pauvreté et faciliter l’insertion à l’emploi, la FTQ estime qu’une hausse du salaire minimum à 15$ l’heure constitue une mesure beaucoup plus structurante», conclut Daniel Boyer. (communiqué du 11 décembre 2017)

FRAPRU

Si les nouveaux investissements s’avèrent suffisants pour refléter les coûts actuels de la construction, ce que le regroupement voudrait voir validé, « cela devrait permettre la réalisation de 7000 logements sociaux déjà annoncés, jusqu’à maintenant impossibles à livrer, faute d’un financement public suffisant », indique Véronique Laflamme, la porte-parole du regroupement. Le FRAPRU souligne cependant l’absence d’annonce concernant la réalisation de nouveaux logements sociaux et l’insuffisance des mesures destinées aux personnes itinérantes. Compte tenu de la place démesurée qu’occupe le logement dans le budget des ménages à faible revenu, le regroupement espère toutefois que la révision promise d’AccèsLogis se fasse sans tarder. « Québec constate que plus du tiers des ménages locataires doivent consacrer plus de 30 % de leur revenu pour se loger », relève madame Laflamme. « Avec la diminution récente des taux d’inoccupation dans les logements locatifs, les choses risquent d’empirer, parce que les loyers vont monter », prévoit-t-elle. (communiqué du 10 décembre 2017)

Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec

Ce qui est proposé, c’est un plan pour gérer la misère et forcer le retour au travail et ce, au détriment du bien-être et de la santé mentale de centaine de milliers de Québécois et de Québécoises. Les personnes défavorisées, particulièrement celles aux prises avec un problème de santé mentale, ont accès à une quantité réduite de ressources pour affronter les demandes de la vie quotidienne, elles vivent un niveau de stress plus élevé, accéléré par un plus grand nombre d’événements pénibles. 80% à 90% des personnes vivant un problème de santé mentale sont sans emploi et l’aide sociale constitue leur unique source de revenu. C’est pourquoi on peut saluer l’intention du ministre de créer un « revenu de base » pour les personnes considérées inaptes à l’emploi, leur permettant, à terme (en 2023), d’atteindre la mesure du panier de consommation. Or, ce « revenu de base » sera proposé lorsqu’une personne aura passé plus de 66 mois sur l’aide sociale, soit 66 mois à ne pas se nourrir à sa faim, à vivre de la stigmatisation, à se sentir parfois comme un fraudeur. Pourquoi attendre que la situation des personnes se détériore pendant 6 ans avant de les faire accéder à « ce socle sur lequel elles pourront compter pour couvrir leurs besoins »? (communiqué du 11 décembre 2017)

Alain Noël ; professeur de science politique à l’Université de Montréal

Le plan parle d’une « véritable révolution » pour décrire sa mesure phare, un revenu amélioré pour les personnes ayant des contraintes sévères à l’emploi et qui touchent de l’aide sociale depuis plusieurs années, que le document qualifie de « revenu de base ». Ce terme a sans doute été retenu pour faire plaisir au ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale François Blais, qui a profité de l’annonce du plan pour remettre à Philippe Couillard un exemplaire dédicacé d’un livre sur le revenu minimum garanti qu’il a publié alors qu’il était professeur de science politique. Mais la réforme annoncée n’a rien d’un revenu de base. On ne parle pas ici d’instaurer une allocation universelle versée de façon inconditionnelle à tous les citoyens, mais bien d’une hausse des revenus s’approchant du seuil de faible revenu de la mesure du panier de consommation (MPC) pour un groupe précis de personnes. (article du 21 décembre 2017)

Vivian Labrie, Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)

Si on cumule les impacts du budget 2017-2018 et de la mise à jour économique de novembre 2017, en 2023, le gouvernement aura retourné 11,796 milliards $ sur six ans en allégements fiscaux aux particuliers assez en moyens pour payer de l’impôt, soit six fois et demie plus que ce qu’il aura investi (1,828 milliards $) pour améliorer le revenu de certaines catégories de ménages qui n’ont pas ces moyens.

Le principal (1,247 milliards $) de cette dernière somme servira à mettre en place un dit « revenu de base » à l’intention des prestataires d’aide sociale de longue durée présentant des contraintes sévères et permanentes à l’emploi (i.e. après six ans à l’aide sociale). […] C’est une bonne nouvelle pour ces personnes, qui pourront ainsi disposer d’une certaine sécurité pour couvrir leurs besoins de base et possiblement cumuler d’autres revenus pour sortir de la pauvreté. C’est par ailleurs un choix qui risque d’augmenter les discriminations, au nom de l’incitation à l’emploi, et les préjugés qu’elles véhiculent envers les autres catégories de prestataires. Et c’est aussi un choix qui risque d’augmenter la médicalisation de la sécurité du revenu, puisque cette catégorisation suppose un diagnostic fait par des médecins (curieuse situation où une profession très avantagée par les finances publiques joue un rôle déterminant dans le niveau de revenu des plus pauvres). (article du 15 décembre 2017)

Ève-Lyne Couturier, Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)

Le plan fait grand cas de la sortie de la pauvreté par l’emploi, et il est vrai qu’une importante part de la socialisation et de l’inclusion sociale passe actuellement par le travail. Toutefois, l’accès à l’emploi ne règle pas tout. Dans plusieurs cas, le marché du travail veut dire transitionner vers une précarité salariée. On échange alors une aide de dernier recours insuffisante pour un milieu de travail qui peine à respecter les limites et la dignité de la personne qui travaille. De plus, en ce qui concerne les objectifs du gouvernement, il faudra distinguer ce qui résultera de l’application du plan de ce qui sera plutôt tributaire de la situation économique actuelle. En effet, avec la reprise provoquée par la hausse des transferts fédéraux et la reprise économique mondiale, on voit déjà des entreprises se retrouver en pénurie de main-d’œuvre. (article du 11 décembre 2017)

Jeanne Émard, blogueur

Pour justifier sa prétention que le Québec atteindrait enfin son objectif de 2002 (prévu pour 2013) en 2023, le Québec compare la borne inférieure d’un intervalle de confiance à 95 % de son taux de faible revenu prévu en 2023 (le 14,3 entouré en bleu) avec la borne supérieure de cet intervalle de confiance du taux de faible revenu du pays qui arrive au dernier rang des pays considérés parmi ceux «comptant le moins de personnes pauvres» (le 14,3 entouré en vert). Cette comparaison relève de la haute voltige statistique. En effet, la probabilité que le véritable taux de faible revenu du Québec soit égal ou inférieur à la borne inférieure de son intervalle de confiance à 95 % est de 2,5 % (l’autre 2,5 % étant la probabilité que ce véritable taux soit égal ou supérieur à sa borne supérieure de 17,3), probabilité qui s’applique aussi à la possibilité que le véritable taux de faible revenu du Danemark soit égal ou supérieur à la borne supérieure de son intervalle de confiance à 95 %. Alors, la probabilité que ces deux événements se produisent en même temps est de 0,0625 %, soit 2,5 % x 2,5 % = 0,0625 %! Et c’est sur cette probabilité infime que se base le document pour prétendre que le Québec atteindra en 2023 son objectif de faire partie des nations industrialisées comptant le moins de personnes pauvres! Et, le pire est que ce n’est pas le pire! (article du 15 décembre 2017)