24 novembre 2019 50 ans d’aide sociale

24 novembre 1969: un éditorial du Soleil sur « l’assistance sociale »

Le Collectif a retracé des archives qui nous donnent un aperçu des débats qui ont mené à l’adoption de la Loi de l’aide sociale en décembre 1969.

L’article complet est reproduit ci-dessous (fautes de frappe et d’orthographe comprises).

L’édition complète du Soleil du 24 novembre 1969 se trouve sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

L’assistance sociale

(éditorial de Raymond Dubé, Le Soleil, 24 novembre 1969, p. 4)

L’assistance sociale, mesure en vertu de laquelle on distribue déjà environ 235 millions de dollars annuellement aux indigents (c’est du moins le montant prévu pour l’année 1969-70), coûterait au cours de 1970-71 entre 25 et 40 millions de dollars de plus selon la nouvelle échelle de prestations qui seront distribuées en conformité avec le projet de loi de l’aide sociale, projet dont l’étude reprendra prochainement à l’Assemblée Nationale après avoir été discuté devant la commission parlementaire de la Famille et du Bien-être.

La nouvelle échelle de prestations qui ne s’appliquera qu’à compter du mois d’avril comporte des augmentations sur celle qui existe actuellement. Elles varient plus ou moins substantiellement selon les obligations familiales de ceux qui en bénéficient. Elles varient aussi selon le milieu. La province a en effet été partagée pour cette fin en trois zones, comme cela s’applique dans certains autres secteurs de la législation. Les prestations les plus basses seront payées aux personnes qui habitent dans des municipalités de moins de 10,000 habitants. Les plus hautes dans les agglomérations de Montréal et de Québec. La différence tient avant tout compte de celle qui existe entre les diverses zones pour le logement. Il est aussi évident que dans la fixation des prestations on s’efforce de venir en aide davantage aux familles de deux enfants et plus.

Les augmentations prévues, si généreuses puissent-elles sembler pour certaines catégories d’assistés sociaux, ne font encore que garantir un très strict minimum de revenus qui ne devrait pas normalement constituer une incitation à dépendre uniquement de l’assistance sociale. D’ailleurs peut-on concevoir une loi d’assistance sociale qui puisse garantir plus que le strict minimum sans s’exposer tout d’abord à encourager la paresse et aussi sans s’exposer à commettre une injustice flagrante à l’endroit de milliers de travailleurs dont le produit du travail égale ou dépasse à peine le montant des prestations d’assistance sociale d’une famille dont les obligations familiales sont identiques.

C’est pourquoi il est difficile de tellement grossir le montant admissible à un assisté social sans qu’il perde les bénéfices de l’assistance sociale. En toute équité il faudrait probablement en venir à verser des paiements de compensation aux travailleurs les moins bien rémunérés après qu’on aurait bien établi un revenu de base correspondant fidèlement au minimum vital dont un individu ou une famille a besoin pour subsister de façon décente. Ce serait par le biais, une forme de salaire minimum garanti que nous ne pouvons nous permettre d’assurer à la population à cause de l’insuffisance des revenus des gouvernements, qui, déficitaires ou sollicités par tellement de besoins, sont dans l’impossibilité d’assumer des obligations d’un ordre aussi considérable.

L’assistance sociale, telle qu’elle existe dans notre milieu, n’est rien d’autre chose qu’un pis-aller. On peut facilement aussi s’imaginer que dans les conditions les plus favorables possibles, elle ne saurait être autre chose, d’autant plus qu’elle ne tient aucun compte des fluctuations du coût de la vie. Aux députés qui signalaient cette lacune le ministre du Bien-être et de la Famille a répondu qu’il était impossible d’établir des taux qui varieraient selon la courbe du coût de la vie parce que les contraintes budgétaires sont trop fortes et aussi parce que les versements du gouvernement canadien (il paie la moitié de l’assistance sociale) n’en tiennent pas compte.

C’est sans doute un correctif qu’on demandera à Ottawa d’apporter au cours des discussions de la prochaine conférence constitutionnelle où le problème de la sécurité sociale retiendra de façon particulière l’attention des onze chefs de gouvernement.

Pour en revenir au projet de loi du gouvernement québécois, le moins qu’on puisse espérer est qu’il contienne des mesures efficaces afin d’éviter l’exploitation de l’assistance sociale telle que la pratiquent trop d’individus qui n’y ont aucun droit ou droit qu’à moitié et qui par le fait même détournent une partie des fonds publics dont on pourrait faire profiter plus largement ceux qui en dépendent pour leur subsistance et celle de leur famille. Il contient d’ailleurs certaines clauses qui indiquent que des efforts particuliers seront tentés en ce sens. On ne se cache pas cependant que la tâche n’est pas facile, mais c’est déjà une amélioration importante, tout comme celle qui résultera de la nouvelle échelle des prestations.

L’assistance sociale est devenue une institution permanente dans notre société. Le seul moyen d’en atténuer l’impact est encore la création de nouveaux emplois, mais c’est un autre aspect du problème auquel les solutions ne sont pas faciles. Parce qu’il faut venir en aide à ceux qui en ont un pressant besoin ainsi se trouvent immobilisés des capitaux considérables qui pourraient être affectés à l’expansion économique et à l’industrialisation de notre milieu. C’est une sorte de cercle vicieux d’où on a l’impression qu’on ne sortira jamais.

Raymond DUBÉ