Lettre aux membres de l’Assemblée nationale du Québec

Mesdames, Messieurs,

Le 22 novembre prochain, trois députéEs représentant chacune des formations politiques siégeant à l’Assemblée nationale, déposeront devant vous la pétition que notre Collectif a fait signer depuis deux ans dans toutes les régions du Québec et dans tous les secteurs de la population québécoise. Nous avions décidé de procéder à ce dépôt quand cette pétition atteindrait les 200 000 signatures. Cet objectif a été atteint le 13 octobre dernier et passablement dépassé depuis. Le moment est donc venu de nous adresser officiellement à vous.

Nous désirions refléter dans la procédure de dépôt l’esprit non partisan qui anime cette pétition. Il nous fait plaisir de vous informer que Diane Barbeau, députée de Vanier (Parti québécois), Mario Dumont, député de Rivière-du-Loup (Action démocratique du Québec) et Christos Sirros, député de Laurier-Dorion (Parti libéral du Québec), ont accepté de procéder à un dépôt conjoint.

Cette pétition s’adressera à vous sur trois points. Elle vous proposera que le Québec se dote d’une loi cadre sur l’élimination de la pauvreté et elle énoncera certains paramètres qu’on devrait retrouver dans une telle loi. Elle vous exprimera l’appui des signataires à la démarche entreprise dans ce but par le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté. Et elle vous demandera de recevoir de façon non partisane la proposition de loi résultant de ce processus.

Nous avons déjà eu l’occasion de vous présenter cette proposition de loi lors de rencontres avec vos instances respectives le printemps dernier et nous vous remercions de l’attention que vous nous avez accordée à cette occasion.

Nous voulons maintenant vous signifier l’urgence d’agir pour qu’un jour, le plus rapproché possible, l’Assemblée où vous siégez adopte une loi sur la base de cette proposition.

Cette urgence a été ressentie par les signataires et nous pouvons vous garantir que cette pétition a fait réfléchir autour d’elle dans les milieux très variés où elle a circulé. La mobilisation exceptionnelle qui a pu être constatée au cours des dernières semaines autour de la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence a confirmé ce que nous avons observé dans les deux années aux cours desquelles nous avons élaboré cette proposition de loi : il y a une prise de conscience dans la société québécoise que la pauvreté brise des vies et empêche celles et ceux qui la subissent de réaliser effectivement les droits fondamentaux qui leurs sont reconnus, que c’est inacceptable dans une société riche comme la nôtre, que cette situation, qui a des causes systémiques, engage la responsabilité citoyenne et que la collectivité y peut quelque chose, notamment à travers ses institutions démocratiques. Et cela, malgré la tendance mondiale à se résoudre à l’accroissement des écarts entre riches et pauvres en y voyant là une conséquence inévitable de la globalisation des marchés. Si un État démocratique doit être fondé sur les solidarités et s’en faire l’instrument, c’est le temps de le démontrer, ici, maintenant.

Vous devez savoir que les réponses sans consistance du gouvernement aux demandes de la Marche des femmes touchant la pauvreté, de même que la désapprobation du chef de l’opposition à la hausse pourtant minime du salaire minimum, ont suscité beaucoup d’indignation. C’étaient des demandes urgentes. Les ajustements qu’elles exigeaient étaient de l’ordre de la simple décence. On les retrouve d’ailleurs dans les mesures immédiates préconisées dans notre proposition de loi.

Aussi est-ce avec des sentiments partagés que nous vous demandons aujourd’hui d’aller au-delà de ces demandes. Une partie en nous doute et perd confiance dans l’institution politique. L’autre se dit qu’il faut considérer cette institution comme nous voudrions pouvoir la concevoir dans nos plus hautes aspirations. Et c’est ce que nous allons faire, en conservant par ailleurs notre vigilance.

Quand Lucienne Cadoret, une femme très pauvre, dit : “Moi aussi, je vis. Est-ce que je peux avoir une place à travers vous autres?”, elle s’adresse aussi à vous.

Nous venons vous dire que nous sommes très très nombreuses et nombreux à avoir exercé notre responsabilité citoyenne devant une situation qui nous paraît inacceptable et qui exige des solutions, ainsi que nous y convie la Déclaration des Nations Unies du 9 décembre 1998 (Résolution 53/144). Nous ne vous abandonnons pas le problème. Nous avons réfléchi à ses causes et aux solutions possibles. Nous avons mis le meilleur de nos intelligences combinées dans le moyen que nous vous proposons. En conséquence, nous vous demandons d’engager les Québécoises et les Québécois avec vous à faire en dix ans du Québec une société sans pauvreté par le moyen le plus formel qu’une société peut mettre en œuvre, à travers ses éluEs, pour s’imposer un saut qualitatif nécessaire : une loi.

L’idée est neuve. La loi que nous proposons découle d’une analyse élargie du problème de la pauvreté, une analyse enrichie d’un point de vue souvent manquant, celui des personnes qui vivent la pauvreté et des organisations qui en rencontrent avec elles les difficultés sur le terrain. Elle énonce des valeurs communes et des principes d’action qui remettent en question les pratiques et les cadres de référence économique, politique, psycho-social, sur lesquels vous êtes habituéEs de fonder vos positions. Elle démarquerait le Québec de ses voisins et supposera donc une bonne dose de courage et d’habileté politique. Mais ce sera pour prendre une avance profitable à moyen ou long terme dans une direction nécessaire au plus grand bonheur de l’humanité et incontournable dans une perspective de développement durable.

Nous savons qu’il vous faudra des débats, tout comme il en faudra au gouvernement et à la population québécoise, pour vous déterminer sereinement à franchir le pas d’humanité que nous proposons. Nous souhaitons que vous en débattiez et nous vous invitons à utiliser les différents mécanismes parlementaires qui sont à votre disposition pour le faire et pour inciter le gouvernement à le faire. Ceci dit, par respect pour le travail citoyen déjà accompli et par économie, nous vous demandons, à vous tout comme au gouvernement, d’entreprendre ces débats sur la base du moyen, une loi cadre et loi programme, et du contenu que nous mettons de l’avant avec notre proposition de loi.

Nous souhaitons que vous le fassiez avec toute la rigueur et l’ouverture d’esprit qu’un tel sujet commande, sans chercher à y tirer d’avantages étrangers à l’objet poursuivi. Comme le disait Victor Hugo dans son discours célèbre sur l’élimination de la misère à l’Assemblée législative française, le 9 juillet 1849, nous ne connaissons ni majorité ni minorité en cette matière. Ce que nous voulons, et les moyens sont là, c’est avancer significativement en direction d’une société qui réalise ses valeurs communes : un Québec sans pauvreté.

Pour vous aider à vous préparer à ces débats, vous trouverez ci-joint un document expliquant pourquoi nous préconisons l’adoption d’une loi comme moyen d’avancer dans cette direction. À sa lecture vous comprendrez sans doute mieux aussi pourquoi une stratégie parallèle qui éviterait le moyen et le contenu que nous proposons n’est pas acceptable à nos yeux. N’hésitez pas non plus à faire appel à nous pour compléter l’explication et réfléchir avec vous sur la façon d’avancer. Nous souhaitons rester partie prenante du processus.

Ensuite, nous vous demandons d’utiliser toutes les prérogatives de votre fonction parlementaire pour faciliter la mise en place dès maintenant des mesures immédiates de la proposition, qui ont un caractère d’urgence tout comme les demandes de la Marche des femmes. Donnez-y effet dans votre travail législatif des prochains mois et exigez du gouvernement québécois qu’il fasse de même dans le cadre du prochain budget. Réclamez du gouvernement fédéral qu’il s’engage dans le même sens pour les questions qui relèvent de sa compétence.

Mesdames, Messieurs, à travers son histoire souvent difficile et tortueuse, l’humanité veut avancer vers ce qui la rend encore plus humaine et accomplie. Sinon elle désespère et se déshumanise. C’est votre devoir en tant que parlementaires de faire servir la loi à cette marche de l’humanité. Jetez avec nous les bases d’un Québec sans pauvreté.

Bien à vous,

Vivian Labrie, pour le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté