Comment pendant l’automne 2001, dans l’ensemble des régions du Québec, des organisations sont venues dire à répétition au gouvernement qu’il faut rependre le débat sur la lutte contre la pauvreté autrement et en tenant compte de la proposition de loi du Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté. Tout au long de l’année 2000-2001, le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté a dit au gouvernement à toutes les occasions qui se sont présentées : «Avant de faire quoi que ce soit, commencez par prendre le temps de travailler avec nous pour comprendre le pourquoi et le comment de ce que nous mettons de l’avant. Ensuite vous déciderez ce que vous voulez en faire. Ne faites surtout pas l’erreur de recommencer un processus parallèle. Nous avons fait un bout de chemin. Notre travail est soutenu par un important processus de consultation et de validation. C’est du solide. C’est cohérent avec tout un courant de pensée international. Ça mérite considération.»
Le gouvernement tente de contourner ce que le Collectif met de l’avant
Qu’a fait le gouvernement? Il a lancé en juin 2001 un vaste processus de validation d’orientations gouvernementales de lutte contre la pauvreté conçues en vase clos. Sans avoir même commencé à étudier avec le Collectif le contenu de sa proposition de loi. Et sans mentionner un traître mot de l’option préconisée par le Collectif dans son document de consultation. Ironie suprême, il a intitulé ce document “Ne laisser personne de côté!” Le parfait exemple d’une technocratie exaspérante propre à faire perdre tout confiance dans les institutions politiques. Il a détaillé ce que serait ce processus de… validation. Pas une consultation, une validation, a-t-il bien précisé. Mais sur la méthode, rien. On en saurait plus long à l’automne. L’objectif? Pouvoir annoncer à l’hiver ou au printemps 2002 une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté qui résulterait de ce processus. Septembre arrivant, l’information a été livrée au compte-gouttes. Il s’est avéré qu’il y aurait une tournée ministérielle en région, un volet national, un groupe-conseil et des recherches pour ministre seulement. La tournée en région serait prise en charge par les conseils régionaux de développement. Les rencontres nationales viendraient plus tard. Le groupe-conseil ne représenterait personne (il faut dire que de nombreuses personnes et organisations ont refusé d’y participer et de cautionner ainsi un processus qui allait à contre-sens du bon sens). Le gouvernement, pas plus pressé que ça d’étudier la proposition de loi du Collectif avec le Collectif, a tout de même maintenu le principe de telles rencontres,… histoire de pouvoir dire qu’il travaillait avec le Collectif quand on lui demanderait pourquoi il ne mettait pas sa proposition au débat! Bref…
Le réseau du Collectif en prévient les régions
Qu’a fait le réseau du Collectif? C’est ici que ça devient intéressant. Le réseau du Collectif est allé présenter son travail dans les milieux régionaux qui se préparaient à la visite ministérielle… et il y a trouvé des alliés, jusque parmi les conseils régionaux de développement chargés de préparer ces visites… de validation. Il faut dire que ce réseau avait déjà de solides appuis dans les diverses régions, compte tenu justement de tout le travail de consultation et de validation effectué par le Collectif depuis 1998 pour construire sa proposition de loi.
Les régions remettent le travail du Collectif à l’ordre du jour…
Et peu à peu, les régions se sont mises à dire à la ministre déléguée à la Lutte contre la pauvreté et l’exclusion, et au ministre responsable quand il a daigné participer aux rencontres, que les orientations gouvernementales ne faisaient que réchauffer ce que le gouvernement faisait déjà et qu’il faudrait aller beaucoup plus loin si on voulait vraiment être efficace. Elles se sont mises à questionner le fait de tout miser sur la création de la richesse et sur l’emploi comme le veut la pensée néolibérale ambiante. Elles se sont mises à dire qu’il faudrait agir sur les causes et que les causes, il ne fallait pas les chercher dans les déficiences présumées des personnes pauvres, mais bien dans le système économique et politique qui est programmé pour produire des gagnants et des perdants, des écarts croissants entre riches et pauvres, du contrôle social débilisant au bas de l’échelle pendant que le haut de l’échelle réclame et obtient ses déréglementations. Elles se sont mises à mentionner qu’il faudrait agir à la fois sur l’emploi, la fiscalité, les services publics, la façon de vivre en société. Elles ont dit oui au développement social et au développement local et régional, à une vraie décentralisation, mais pas aux dépens d’un État qui doit remplir sa mission de gouvernance au nom de toutes et tous. Elles ont ramené l’enjeu de l’égalité en droits et l’obligation qu’il faut se faire de la réaliser en se donnant une stratégie globale encadrée par une loi. Elles ont insisté pour que les personnes en situation de pauvreté soient partie prenante du processus et dans les quelques cas où une rencontre publique a été possible, comme à Montréal, ou en Gaspésie, elles ont fait entendre des témoignages de personnes aux prises avec la pauvreté.
Elles ont sorti toutes les lettres d’appui obtenues dans leur région au travail du Collectif et à sa proposition de loi et elles ont remis cette proposition de loi à l’ordre du jour, même si tout avait été fait pour que l’ordre du jour n’en parle pas. Elles ont déposé la proposition de loi, le manifeste, les outils d’analyse du Collectif à la ministre.
Les Conseils régionaux de développement ont fait écho à leur tour à ce travail.
Suite aux diverses représentations de la région, le CRD du Saguenay-Lac St-Jean a fait de l’adoption d’une loi-cadre sur l’élimination de la pauvreté sur la base du travail du Collectif sa première recommandation.
Dans d’autres régions, la Gaspésie par exemple, le CRD a tout simplement consigné des interventions du milieu, qui est revenu plusieurs fois à la charge dans son analyse du document gouvernemental pour marteler la nécessité d’une loi sur la base du travail du Collectif.
Les CRD déjà appuyeurs du Collectif (Laurentides, Abitibi-Témiscamingue et Mauricie) ont redit leur appui.
D’autres (Québec, Centre-du-Québec, Chaudière-Appalaches, Laval) ont annoncé leur intérêt pour une telle loi ou pour étudier la proposition de loi du Collectif.
D’autres ont fait état de l’importance accordée à cette proposition dans leur milieu (Côte Nord, Montérégie).
D’autres encore ont choisi de voter explicitement leur appui à cette occasion (Outaouais, Lanaudière, Estrie). Le CRD de l’Estrie a même décidé d’ajouter un cinquième axe aux quatre axes de validation, sur lesquels il était mandaté par le gouvernement, envoyant la proposition de loi du Collectif à tout ses commettants pour connaître leur avis sur la question. Stupeur, la ministre a annulé la rencontre, la dernière prévue au programme, sous prétexte que le CRD avait dévié de son mandat. Un geste révélateur que les médias ont bien traduit : «La ministre déléguée à la Lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, Nicole Léger, est-elle «tannée» d’entendre parler de pauvreté? Ou alors est-elle partisane des seules séances de consultation bidon où elle ne risque pas de croiser des gens qui vivent la pauvreté d’un peu trop près?» pouvait-on lire à la une de la Tribune, le lendemain de cet acte manqué?
La position du Collectif s’en trouve renforcée
Alors que la stratégie gouvernementale visait vraisemblablement à l’étouffer, la position du Collectif ressort renforcée de cette opération gouvernementale douteuse.
«Pour nous, il est évident que cette consultation nous donne un plus car nous avons trouvé un allié qui est le CRDAT et que nous allons pouvoir travailler ensemble», écrit Céline Turcotte, du groupe relayeur du Collectif à Rouyn, dans un message du 14 novembre 2001 au Collectif. De même le groupe relayeur de Laval a développé des alliances avec les organisations syndicales, alors qu’à Québec, sans être pour autant concertées, les diverses interventions ont démontré beaucoup de cohérence.
Le gouvernement se met beaucoup de monde à dos
Par ailleurs, le gouvernement a réussi à se mettre à dos beaucoup de monde, du monde en passant qui devrait logiquement être au cœur d’une action efficace de lutte contre la pauvreté. Du monde qui a vu que les services des communications du gouvernement repassaient à chaque fois pratiquement le même communiqué, peu importe la teneur de la rencontre, voire même sa contestation.
Parce que tout ça s’est passé aussi dans la dénonciation. À l’intérieur, en défendant chèrement un droit de parole non acquis. Et à l’extérieur. Dans l’Outaouais par exemple, où des organisations ont loué une salle à côté de celle où se passait la rencontre. Dans le Bas St-Laurent, où le parcours conduisant à la salle de réunion a été parsemé de caricatures et de phrases-choc sur la pauvreté. À Montréal, où les gens à l’intérieur ont rejoint en grande majorité les manifestantEs qui s’étaient massés à l’extérieur.
À Laval et à Québec, sans se consulter, les deux régions ont ajouté à leurs interventions et à leurs communiqués un symbole qui en dit long : un clou, comme dans “tannéEs de toujours planter le même clou”.
Et la suite?
Depuis le ministre responsable a entrepris quant à lui une tournée des organisations nationales. Le même message lui est répété sous divers tons : en le rencontrant ou en ne le rencontrant pas, par lettre, au téléphone. Les télécopieurs livrent régulièrement des manifestes en rappel aux ministres concernés, de même qu’au premier ministre.
Manifestement le processus gouvernemental conduit à l’impasse. Le Collectif tient à en avertir le gouvernement et les membres de l’Assemblée nationale. Il y aurait moyen de faire autrement.
Pendant que le gouvernement fait la sourde oreille, manifestement les idées font du chemin.
Manifestement, les temps sont paradoxaux.
Le gouvernement est en train de donner raison à cette terrible phrase de Maria de los Angeles Yannuzzi : »Invalider le droit de parole, avec lequel l’homme s’institue comme sujet politique, représente la condition nécessaire pour maintenir l’exclusion sociale, dérivée de la distribution inéquitable de la richesse sociale».
Le mouvement citoyen qui s’est activé tout l’automne un peu partout au Québec rappelle davantage cette affirmation de Hannah Arendt : “Nous ne sommes pas nés égaux; nous nous convertissons en égaux comme membres d’un groupe dans la force de notre décision pour nous garantir des droits mutuellement égaux”. Pour ce mouvement qui se tisse chaque jour davantage, l’option est claire : jeter les bases d’une société sans pauvreté, plus solidaire et plus égalitaire.
La suite face à ces deux façons d’agir et d’aborder la participation citoyenne dans la société québécoise?
Manifestement il ressort de la tournée ministérielle de l’automne 2001 un message clair : c’est mal parti, il faut reprendre ça autrement en parlant de la proposition de loi du Collectif. Les extraits que nous publions avec ce résumé devraient suffire pour se rendre à l’évidence. Alors est-ce qu’on en parle maintenant? Ou va-t-il falloir que le Collectif et son réseau s’en occupent eux-mêmes?
Un réseau solide et de plus en plus important affirme au gouvernement : «N’essayez pas, ça ne se fera pas sans nous». Alors est-ce que ça suffit maintenant? Ou va-t-il falloir continuer longtemps à le démontrer? Là est la question. Et chaque voix a un poids dans la balance.