Je suis heureux de m’adresser à vous aujourd’hui au moment ou vous [sic] apprêtez à débattre d’un sujet novateur et essentiel. Il est novateur car il répond aux interrogations croissantes sur les modèles de développement économiques à partir d’une réflexion sur les outils propres à analyser ce développement, et il est essentiel car ces interrogations sur la nature de la croissance permettront d’imaginer les projets de demain, de dessiner de nouvelles politiques publiques, de mettre les différents acteurs économiques et sociaux en situation de responsabilité vis à vis de la qualité de la croissance. Je voudrais à cette occasion saluer l’initiative prise par Guy HASCOËT, secrétaire d’État à l’économie solidaire, et le travail réalisé par Patrick VIVERET.
Reconsidérer la richesse me semble en effet au cœur de la question du développement durable qui, me semble t’il, peut rassembler et renouveler des valeurs auxquelles nous croyons. Promouvoir un développement durable, c’est considérer que la qualité de la croissance compte autant que son rythme. C’est affirmer que la justice sociale aujourd’hui, la préservation des ressources naturelles pour demain sont, avec l’efficacité économique, des éléments essentiels du développement. Le développement durable est ainsi une nouvelle manière de gérer et d’organiser les activités humaines.
Promouvoir le développement durable c’est une nouvelle façon de réformer. En fondant la croissance sur l’équité, en ayant le souci, non seulement des effets sur l’emploi de cette croissance, mais aussi celui de la réduction des inégalités, de la préservation de l’environnement et de la cohésion sociale. Non seulement l’équité au sein de chaque génération, pour réduire les inégalités entre les générations, afin de laisser aux générations futures la liberté de choisir leur avenir. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’arbitrer entre des objectifs de court terme tout en ménageant le long terme. Cet arbitrage ne peut intervenir sans dialogue entre les acteurs économiques et sociaux. Car ni la logique du marché, ni la rationalité scientifique, ni l’autorité du politique ne peuvent trancher seuls de choix par essence collectifs. C’est pourquoi le développement durable ne se décrète pas, il se négocie. Il est affaire de démocratie.
Il est aussi affaire de volonté car il n’est pas de développement durable sans volontarisme. Cette prise de conscience est née de la mesure de la finitude du monde et de ses ressources, de la fragilité de la Terre. Notre environnement n’est pas une marchandise, un simple stock de matières premières dans lequel on pourrait puiser sans se soucier des générations futures. Cette prise de conscience aussi je l’ai souvent répété que l’économie de marché ne doit pas nous entraîner vers une société de marché. Si il est affaire de démocratie, de volontarisme, le développement durable est aussi affaire de responsabilité.
La condition essentielle de progrès véritables dans les domaines du développement durable est la responsabilisation de tous les acteurs.
Parce que nous sommes dans le processus de préparation de Johannesburg, je voudrais situer mon propos au plan des évolutions globales qui conditionnent aussi les initiatives que nous pouvons prendre au plan national dans nos pratiques quotidiennes comme au plan européen.
Les entreprises ne peuvent plus ignorer aujourd’hui leurs responsabilités d’acteur global. Parmi les cent premières puissances économiques mondiales, on compte en effet 49 États et 51 entreprises. En 1998, c’est notamment en raison du déséquilibre des droits et des devoirs que l’accord multilatéral sur l’investissement instituait entre les États et les entreprises que je me suis opposé à la poursuite des négociations.
Le moment me semble venu aujourd’hui de relancer la réflexion sur des bases entièrement nouvelles, en établissant des règles de transparence et en définissant clairement les responsabilités sociales et environnementales de ces acteurs majeurs de la mondialisation.
Les réflexions lancées par Kofi ANNAN à travers le ” Global Compact ” les Global Reporting Initiative, tout comme les propositions d’accord sur les investissements émanant des ONG permettent de lancer le débat. Je sais que parmi vous beaucoup réfléchissent à ce que pourraient être ces initiatives, comment l’évaluation de ces actions peut être réalisée et quels sont les indicateurs pertinents. Cette réflexion est précieuse car elle conditionne l’élaboration de règles dont je souhaite pour ma part qu’elles soient internationales. Ainsi pourront être débattues les conditions d’une négociation sociale et d’une contractualisation à l’échelle mondiale, entre les gouvernements, les acteurs de la société civile et les entreprises. Il me semble, à cet égard, que les codes de conduite et les chartes auxquels réfléchissent les entreprises doivent être intégrés à un accord international. Il ne s’agit pas de souscrire à la ” politique des indulgences ” et de s’auto-décerner des brevets de bonne conduite. Mon gouvernement, pour sa part, a innové dans ce domaine grâce à la loi sur les nouvelles régulations économiques. Les entreprises devront désormais rendre des comptes sur la façon dont elles intègrent les dimensions sociale et environnementale à leur activité. Le décret précisant cette nouvelle disposition est paru la semaine dernière. Je souhaite que les administrations s’astreignent à la même discipline. Le mouvement associatif à partir de son expérience, pourra très largement contribuer à ces réflexions.
La réflexion sur les services publics les services essentiels me semblent une composante indispensable de la réflexion sur la qualité de la croissance. En poursuivant cette voie que nous trouverons les synergies les meilleures entre les investissements privés, parfois nécessaires pour assurer les services essentiels – et du point de vue international, je pense surtout l’accès à l’eau, à l’énergie, aux soins de santé, et même au savoir – , et les fonds publics qui doivent garantir l’accès à ces services pour les plus démunis. Nous défendrons l’idée d’une approche spécifique sur ces services essentiels lors du Sommet européen de Barcelone. Une même démarche doit être entreprise au plan international pour que les investissements dans ces services obéissent à des principes communs. Ces principes sont simples : ils doivent reconnaître le droit universel d’accès aux services essentiels, la compétence exclusive de la puissance publique pour les mettre en œuvre – y compris avec l’aide du secteur privé -, et le caractère de bien public des ressources mobilisées. Dans mon esprit, ce partenariat public-privé est le contraire même de la dérégulation et de la débudgétisation des ces services.
Pour préparer les propositions que fera la France à Johannesburg, je souhaite mettre en œuvre, dès maintenant et au niveau national, cette démarche contractuelle avec les ONG et les entreprises. La dimension que vous développez aujourd’hui sur de nouveaux indicateurs devrait ainsi s’intégrer à ces propositions et faire partie de notre contribution à Johannesburg, pour l’élaboration de ces nouvelles règles internationales, responsabilisant les acteurs économiques et sociaux dans la poursuite de l’objectif du développement durable.
Je vous souhaite plein succès dans vos travaux et j’attends avec le plus grand intérêt leurs résultats.