Monsieur le Conseiller,
Vous avez bien voulu m’informer de la Rencontre des 1er et 2 mars 2002 : ” Reconsidérons la Richesse “. Je vous en remercie et souhaite vous faire part du très vif intérêt que suscite pour moi cette démarche.
L’un des principaux défis auxquels sont confrontées les sociétés modernes est l’invention d’un mode de développement durable. Nous savons désormais que les prélèvements que l’homme effectue sur la nature excèdent ses capacités de reconstitution. L’homme se comporte ainsi en prédateur qui menace les dynamiques écologiques de notre planète. Il est urgent d’y remédier pour parer par exemple au réchauffement climatique, à la dégradation des sols, à l’appauvrissement de la biodiversité ou à la disparition des forêts primaires.
Alors que la population mondiale continue à croître à un rythme rapide et que des efforts importants doivent être consentis pour éradiquer la grande pauvreté, que reste l’inacceptable destin de près de la moitié de l’humanité, nous devons impérativement trouver de nouveaux modes d’action. Il y va de notre avenir commun, de notre aptitude à satisfaire les besoins fondamentaux de l’homme tout en respectant la nature. C’est l’objectif de l’écologie humaniste qui doit tous nous mobiliser.
Chacun sait que les concepts économiques et les outils statistiques sur la base desquels nous construisons nos modèles reflètent la hiérarchie de nos valeurs et le prix exact que nous accordons aux choses. Fruits d’un développement où la production de biens tient une part essentielle, nos instruments actuels d’analyse économique sont encore impuissants à mesurer le coût pour la collectivité des dégradations infligées à l’environnement, de même qu’ils demeurent encore insuffisants dans l’évaluation du coût social des évolutions économiques. À l’inverse, ces instruments sous-estiment gravement la richesse que constitue pour une société la cohésion entre ses membres et l’atout que représente pour son développement la préservation d’un environnement de qualité.
À quelques mois du Sommet de Johannesburg, qui doit relancer la dynamique du développement durable à l’échelle planétaire, je souhaite que la France puisse présenter, pour elle-même, pour l’Europe et pour le monde, une nouvelle approche de ces ” indicateurs du développement durable ” dont la mise au point permettrait de mieux mesurer l’évolution réelle de la richesse du monde et l’impact de l’activité économique sur les générations futures. Je n’ignore pas la complexité de cette entreprise, que suppose la remise en cause de bien des principes et une réflexion approfondie sur des questions difficiles.
Je me félicite donc que vous ayez choisi une conception large de votre Rencontre.
En associant des participants français et des participants venus du monde entier, vous placez votre effort dans le cadre mondial qui doit être le sien.
En combinant les approches économique, sociale et environnementale, vous rappelez qu’il ne saurait y avoir de conception unilatérale du développement durable, démarche nécessairement intégratrice qui doit embrasser nos réalités dans toute leur complexité.
En faisant discuter des responsables publics, des scientifiques et des représentants d’associations, vous pratiquez un débat citoyen renouvelé où je vois un des éléments de la modernisation de la vie démocratique des sociétés contemporaines.
Je ne doute pas que ces deux journées permettront de progresser et je suis heureux d’adresser à tous les participants à cette Rencontre un message chaleureux de bienvenue, d’amitié et de soutien. Je vous remercie par avance de me tenir informé de vos débats et de vos conclusions.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Conseiller, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Avec mes bien cordiales amitiés,
Jacques CHIRAC