Québec, le 01/06/99 . Pourquoi une loi-cadre pour éliminer la pauvreté
demandera-t-on? Parce que c'est un moyen pour se donner une stratégie globale
connue de toutes et tous et parce qu'il y a urgence de le faire.
De plus en plus de personnes prennent conscience de l'urgence d'un mouvement global
et concerté de lutte à la pauvreté. Vivian Labrie, porte-parole du Collectif pour une loi sur
l'élimination de la pauvreté, résume ce sentiment d'urgence: « La preuve est maintenant
faite que la croissance économique telle qu'on la connaît ne réduit pas les écarts, mais
qu'elle les augmente. Il faut donner un signe clair à la société qu'on ne peut pas laisser
faire ça. De toute évidence, sans action citoyenne majeure dans les prochains mois, il n'y
a absolument rien en vue qui puisse donner espoir d'un virage sur la question de la
pauvreté et de l'exclusion dans les politiques des gouvernements fédéral et québécois. Les
derniers budgets gouvernementaux sont absolument éloquents là-dessus : en période de
surplus, alors qu'on s'apprête à diminuer les impôts, rien n'est prévu pour améliorer les
revenus des personnes trop pauvres pour payer des impôts.»
Les derniers recensements montrent que les écarts s'accroissent sans cesse entre le
cinquième le plus pauvre et le plus riche de cette société. On pourrait croire qu'il y aurait
là matière à mobiliser un gouvernement dans le support qu'il apporte aux personnes
pour s'en sortir, notamment en matière d'aide à l'emploi. Pourtant, le gouvernement du
Québec a diminué ses budgets au niveau des mesures actives d'aide à l'emploi pour les
chômeurs et chômeuses de longue durée. Pire encore, alors qu'il a utilisé des surplus
ponctuels dans le dernier budget pour éponger la dette des établissements de santé et
d'éducation, du côté des mesures d'aide à l'emploi, il a imputé au budget de cette année
les dépassements de l'année dernière. Où est le droit à l'emploi quand on limite
davantage les chances des plus exclu-e-s de s'en sortir?
On pourrait parler aussi de la tendance subite des deux gouvernements à changer les
méthodes statistiques de calcul des taux de pauvreté : plutôt que de chercher à diminuer
la pauvreté, on change la méthode pour la calculer. « Avec une loi-cadre, explique
Vivian Labrie, on serait obligé de se questionner avant de prendre des décisions. On ne
pourrait plus faire semblant que le problème n'est pas là.»
Une stratégie globale pour un problème global
Beaucoup de gens comprennent aussi que l'enjeu est plus qu'économique. Ce n'est pas
seulement le droit à un revenu décent qui est en cause, mais bien le fait que la pauvreté,
l'exclusion, l'absence de sécurités de base, les contrôles humiliants, privent les personnes
de l'ensemble de leurs droits. Tout le monde peut être touché et tout est touché : la vie
dans la famille, dans son quartier, dans sa région, la santé, l'éducation, les liens sociaux,
l'exercice de la citoyenneté, la capacité d'assumer ses responsabilités. C'est de respect
des droits de la personne de façon globale dont il est question, des droits qui sont
reconnus dans la Charte québécoise des droits et libertés, mais qui sont mis en échec
tant qu'on ne se donne pas les moyens de les appliquer et de se responsabiliser
collectivement d'un problème généré collectivement. Des déclarations récentes de la
Commission des droits de l'homme des Nations Unies le reconnaissent aussi amplement.
Penser en termes de stratégie globale, c'est déjà libérer des personnes d'un sentiment
d'exclusion qui leur pèse souvent autant que les privations économiques. «Cela m'a
donné un regard plus éclairé sur la situation des écarts et en tant qu'assistée sociale il
me semble que cela m'enlève au plan social et économique une certaine culpabilité»,
écrivait une participante invitée à contribuer au contenu de la loi-cadre lors d'une
animation menée par le Collectif.
Par ailleurs, plusieurs se rendent compte que devant la mondialisation des marchés,
l'action locale ne suffit plus, les luttes morcelées non plus.
Une loi-cadre pour éliminer la pauvreté aurait pour effet d'engager toute la société avec
son gouvernement et de contribuer à la mondialisation des solidarités en poursuivant ici
un objectif irréfutable dans le contexte d'une Première décennie des Nations Unies pour
l'élimination de la pauvreté: confronter les États aux engagements qu'ils ont pris sur cette
question, notamment en 1995 au Sommet de Copenhague. Elle permettrait de tracer un
programme avec des objectifs précis, un horizon, des premiers pas, des mécanismes
d'évaluation et d'application. Elle aurait un impact sur l'ensemble des politiques du
gouvernement. Elle permettrait d'agir avec plus de cohérence, d'autant plus que plusieurs
ministères sont touchés dans leur mandat et plusieurs secteurs d'activité dans la société.
Une telle loi serait un signe donné à cette société de prendre acte que le problème de la
pauvreté concerne tout le monde et qu'on peut proposer des actions plausibles pour la
diminuer et tendre à l'éliminer. Et elle lancerait un message plus que nécessaire aux
personnes qui vivent la pauvreté et l'exclusion : celui de garder espoir et de prendre leur
place. Enfin, le faire ici indiquerait qu'on peut le faire ailleurs. La mondialisation des
solidarités appelle ce type d'audace.