Une mise en contexte
<Depuis le début de son expérience, le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté insiste sur l’importance de travailler avec les personnes en situation de pauvreté. Nous découvrons à mesure que nous avançons à quel point ces personnes détiennent un pouvoir décisif sur le changement des mentalités et l’amélioration des connaissances autour du problème de la pauvreté et des solutions à y amener. Il y a toutefois un mais, et il est de taille. Pour que cela arrive, il faut rendre possible un contact direct entre elles et des personnes non pauvres autour d’un objectif commun. Or, tout tire dans l’autre sens et c’est bien ça le problème.
Nous le savons depuis le début de notre travail, pour en avoir nous-même fait l’expérience. Nous avons écrit à l’article 5.3° de notre proposition de loi que » les personnes en situation de pauvreté et les associations qui les représentent sont associées à la conception, à la mise en œuvre et à l’évaluation de ces mesures « , un principe fondamental pour toute action visant à lutter contre l’exclusion et la pauvreté. Mais en même temps que nous la préconisons, nous mesurons tout le chemin à parcourir dans la société, au gouvernement, et à l’intérieur de notre propre réseau pour mettre en application cette conviction profonde.
Par ailleurs, voilà une dimension de notre proposition de loi sur laquelle nous avons du pouvoir dès maintenant. Lutter contre la pauvreté sans les pauvres, conduit immanquablement à lutter contre les pauvres. Nous allons devoir apprendre à lutter contre la pauvreté avec les personnes pauvres, en pleine égalité, en tenant compte de leurs perspectives et de leur point de vue. Pourquoi? » Y a rien de pire que quelqu’un qui veut ton bien à ta place! » a précisé une femme très pauvre de Rouyn, lors d’une animation du Collectif sur la budget à l’hiver 2001.
Ce cri de vérité est d’une grande importance pour qui a appris à côtoyer des personnes en situation de pauvreté dans l’égalité et la conscience d’une commune dignité. Il reste hors du champ de la conscience de ceux et celles qui prétendent régler le problème de la pauvreté et de l’exclusion en vase clos et qui, par conséquence, se privent d’entendre ces phrases qui pourraient les retourner.
Il faut rompre cette quadrature du cercle. Il faut apprendre à le faire. Et il faut le faire à toutes sortes de niveaux et dans toutes sortes de secteurs de la société. Jusqu’à ce que ce soit devenu une habitude et qu’on ne puisse plus imaginer ne pas le faire.
Objectif général
Développer au Québec l’habitude du troisième principe de la proposition de loi du Collectif et expérimenter comment le faire dans une approche progressive. Autrement dit : Permettre aux personnes en situation de pauvreté de faire valoir leurs savoirs, leurs expériences, leur expertise, afin de transformer les mentalités, les cadres de références et les pratiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, notamment en générant la volonté de penser, décider et agir AVEC.
Le projet devrait également conduire les personnes en situation de pauvreté à faire l’expérience de leurs pouvoir citoyen et le développer. Elles devraient également pouvoir développer des solidarités qui conduisent à réaliser des changements concrets qui ont un impact sur les conditions de vie de personnes vivant des formes d’exclusion reliées à leur situation de pauvreté.
Le projet
Soutenir et développer, à travers l’action globale du Collectif et de son réseau, un ensemble d’actions et d’activités citoyennes impliquant au premier chef des personnes en situation de pauvreté et mettant à contribution leur expérience et leur expertise de la pauvreté dans une recherche commune visant à jeter les bases d’un Québec sans pauvreté. Ces actions et activités viseront à développer des connaissances, des pratiques et des transformations des façons de voir et d’agir qui tiendront compte des perspectives apportées par les personnes en situation de pauvreté sur un ensemble de questions touchant leur réalité. Un AVEC pour faire ENSEMBLE.
Des mots sur les maux. Une des caractéristiques de l’approche proposée est l’impact de la parole, des mots qui viennent expliquer les maux. Ils peuvent fournir le point de départ d’un travail théorique important sur les cadres de référence que nous avons comme société, à la condition toutefois de les entendre, d’en apercevoir le potentiel et de pouvoir penser librement à travers eux.
Penser ensemble. L’idée est simple, quoique peu pratiquée : provoquer sur des questions relatives à la lutte à la pauvreté une réflexion collective suite à une mise en commun des savoirs, à la fois théoriques et pratiques, de personnes en situation de pauvreté, d’intervenantEs, de chercheurEs, de décideurEUSEs. Les personnes en situation de pauvreté ont un avantage décisif pour la réflexion théorique et la recherche de solutions. Elles sont bien placées pour apercevoir de l’extérieur, à partir d’angles inédits et généralement peu considérés, les cadres sociaux dont elles sont exclues par leur situation. Il faut développer à travers ces rencontres des méthodes et des forums qui favorisent l’écoute, l’échange, le croisement des savoirs et des pratiques et qui permettent aux personnes en situation de pauvreté de prendre leur place. Il faut minimiser les obstacles à l’écoute, à l’expression, à l’échange des idées. Il faut bien préparer ces interventions et leur animation. Ensuite, il faut miser sur ce qui s’y passera.
Décider ensemble : Cette réflexion commune devrait nécessairement mener à des décisions communes. C’est probablement l’étape la plus difficile du projet, celle qui vient en dernier dans les pratiques. Il faut pourtant s’assurer de donner un suivi aux idées, aux concepts, aux solutions et projets qui en émergeront dans nos structures afin de consolider les pratiques et d’obtenir un impact durable sur les façons de faire.
Agir ensemble. L’individualisme à outrance sert l’échelle et l’accroissement des écarts. Une collectivité qui apprend » à mettre tête et cœur ensemble « , pour reprendre l’expression haïtienne, a de meilleures chances de rester centrée sur le bien commun et de se comporter en conséquence. Toutes sortes de pratiques collectives permettent d’élargir l’espace démocratique en luttant contre le préjugé et l’exclusion.
Quelques-unes des activités réalisées
Le Projet AVEC a continué à évoluer depuis l’an passé. Peu à peu, nous nous l’approprions et en développons les différents volets. Nous avons initié plusieurs projets au cours de la dernière année, participé à d’autres et en prévoyons autant pour les mois à venir. Voici, brièvement présenté, quelques-uns de ces projets.
-Le comité AVEC : Le Comité AVEC se réuni à peu près au deux mois. Une culture très particulière s’y est développé et nous nous y retrouvons en milieu riche et propice à l’exploration. Il s’est d’abord approprié le projet : On a réfléchi au travail AVEC, on y a travaillé à ses objectifs, défini sa programmation, etc. Puis, il a fallu réfléchir à la portée de la loi 112, à sa dimension AVEC. Le comité s’est penché sur de nouveaux contenus et s’est questionné, à partir de son expertise, pour mieux répondre à ce qui sort dans les médias et l’opinion publique. Les dernières rencontres ont également permis de faire les bilans puis de commencé à réfléchir sur une méthode d’évaluation pour le projet AVEC. Déjà, il nous faudra maintenant voir venir la suite avec la programmation de l’an prochain.
-Un Forum. citoyen Mai 2002 : Le Forum citoyen pour un Québec et un monde sans pauvreté. Le Forum s’est voulu une rencontre entre divers secteurs de la société pour discuter élimination de la pauvreté et pour inviter les participantEs à s’impliquer dans cette direction. Près de 400 personnes étaient présentes et une particularité de ce Forum a certainement été la présence nombreuse et active de personnes en situation de pauvreté.
-Le 17 octobre : Depuis plusieurs années, le 17 octobre, Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, est l’occasion de croisements entre citoyenNEs de divers horizons. Au cours des deux dernières années, un échange a été rendu possible entre des personnes en situation de pauvreté et des parlementaires du Québec afin de souligner cette journée. Cette année, le 17 octobre au Collectif s’est déroulé en deux étapes. La première a eu lieu le 16 octobre, par une journée de préparation des interventions de 14 personnes en situation de pauvreté. On a utilisé la technique des écrivaines, c’est-à-dire que des personnes recueillaient les paroles des gens et les écrivaient au fur et à mesure. Une déclaration commune a également été rédigée. La seconde étape a été la présentation des témoignages durant le déjeuner avec les parlementaires, le 17 octobre. Les premiers objets de l’exposition sont apparus à ce moment.
-L’Agora pour un Québec sans pauvreté : À l’occasion de la Commission parlementaire sur le projet de loi 112 – Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, nous avons voulu rendre possible des échanges entre citoyenNEs pour faire avancer l’idée de se donner un Québec sans pauvreté. Nous avons tenté de créer un lieu de croisement des regards, des savoirs et des expériences. Les bilans de l’Agora ont pu être mitigés à l’égard de certains objectifs qu’on s’était donné, mais celui de faire AVEC a été atteint. Des gens présents à la fermeture ont exprimé le souhait de revivre une Agora. On retient cependant qu’il faut aller vers les gens si on veut changer le regard, et non attendre qu’ils se joignent spontanément à nous.
-Exposition d’objets : L’Agora a également été l’occasion d’introduire l’exposition Objet : Pauvreté. Les participants y étaient invités à amener un objet qui, pour eux, représente le fait de vivre en situation de pauvreté. Plus de 130 objets ont ainsi été regroupés et l’expression » une image vaut mille mots » a rarement été aussi appropriée. L’activité est toujours ouverte et elle se promène depuis un peu partout au Québec. C’est une activité simple et accessible. Elle est également facile à reproduire et à utiliser. Elle est toujours ouverte pour recevoir de nouveaux objets et elle est disponible pour vos activités. Deux versions du catalogue des objets ont déjà été publiée.
-Sentier des préjugés : Le travail » AVEC » nous permet de constater à quel point la parole des personnes vivant la pauvreté est le plus souvent juste et cruciale dans la compréhension des situations qu’elles vivent. Tout un volet d’activité a alors été mis sur pied (et est en continuel développement) afin de faire ressortir cette parole. Différents outils ont été utilisés, dont les bulles qui forment maintenant le Sentier des préjugés, confrontant des paroles de personnes en situation de pauvreté à d’autres, lues ou entendues encourageant les préjugés à leur égard. Ces bulles peuvent être installées de part et d’autre d’un couloir, de façon à créer un sentier. Il y a plusieurs façons d’utiliser ces bulles, soit comme déclencheurs pour une discussion ou seulement pour faire une réflexion personnelle. Le sentier des préjugés est inclut dans l’exposition.
-Les ateliers et les croisements : Plusieurs schémas d’activités et de croisement de savoirs ont été créer au cours de la dernière année, que ce soit à l’occasion du Forum, de l’Agora ou d’activités plus ponctuelles. Les réflexions ont été multipliées sur différents thèmes ce qui nous a souvent mené à explorer de nouveaux contenus, notamment sur les préjugés, les besoins essentiels, la pauvreté au travail, les droits.
-Les cartes de compétences : Un groupe d’artiste ISO 1 000 000 000 nous a proposé cette activité dans le cadre de l’Agora. Il s’agissait de faire inscrire une compétence sur une carte plastifiée, avec photo afin de poursuivre une réflexion sur les types de contributions à la société. Les gens étaient par la suite invités à utiliser cette carte de façon à contribuer à la reconnaissance d’activités autre que l’emploi.
La présente programmation
Les premiers éléments d’évaluation que nous avons tirer du projet l’automne dernier ont d’abord fait ressortir tout le potentiel d’activités amorcées, de méthodes à colliger et à diffuser, d’exploration à poursuivre, d’échanges à multiplier. Il est déjà clair, par exemple, que nous ne sommes pas à la veille de mettre au placard l’exposition d’objets ou le sentier des préjugés. Il faut, au contraire, en assurer l’utilisation et le développement les plus larges possibles, tant comme activité autonome que comme déclencheurs d’autres étapes. Et de tels constats peuvent être fait notamment pour plusieurs ateliers et activités que nous développés. Il ne faudrait pas que tout ça se perde.
Tout cela n’est pourtant que la pointe de l’iceberg. Non seulement les explorations, développements et avancées rendus possibles par le projet AVEC n’en sont qu’à leurs préléminaires mais plusieurs pratiques » AVEC » sont déjà mis en œuvre par plusieurs groupes du réseau, sans qu’ils aient la possibilité de leur donner toute la visibilité nécessaire et souhaitée. Nous n’avons pas le monopole des façons de faire AVEC, loin de là, nous n’avons que les moyens d’initier certains échanges, certaines diffusions de tout ce savoir. Beaucoup reste à trouver aussi, mais nous en sommes déjà à consolider une certaine partie du travail fait dans le sens de » AVEC « , ici comme ailleurs.
Ce sont ces deux dimensions qui nous occupent maintenant davantage. L’exploration et la consolidation sont les mots clés et ils ont été traduits à travers différents éléments de notre plan d’action, et notamment ceux qui suivent.
L’exploration et le développement
Nous voulons continuer à développer le savoir et les méthodes AVEC avec les groupes du Collectif. Ça veut dire se donner les moyens de le faire notamment à travers :
-Les carrefours de savoirs : Ils consistent à regrouper différentes personnes de différents milieux afin de penser à plusieurs et de croiser les savoirs sur un sujet. Ils peuvent prendre différentes formes, sont d’une durée variable et peuvent impliquer toutes sortes de monde mais de ces croisements émergent sûrement de nouveaux savoirs dont peut profiter le Collectif. C’est certainement une façon de penser AVEC mais faite en vue d’agir AVEC et de décider AVEC. Nous en avons déjà fait quelques uns et visons à en développer un, de plus longue durée, sur les besoins essentiels au cours des prochains mois.
-Du travail AVEC autour des axes de la programmation et du fonctionnement du Collectif : Le projet AVEC n’est pas une entité autonome du Collectif. Il est directement issu de sa volonté et cela devrait apparaître dans la programmation et dans le fonctionnement que le Collectif se donne. Il n’est pas question de changer toutes les pratiques du jour au lendemain mais il serait intéressant que le Collectif se laisse peu à peu influencer par ce qui est développé au Projet AVEC, qu’il s’approprie de plus en plus ces objectifs. Nous tentons de faire en sorte qu’on se donne davantage les moyens de penser, décider et agir AVEC à travers les actions et le travail politique de même qu’au sein des instances et comités du Collectif.
La Consolidation
Nous devons déjà penser à des outils pour regrouper et diffuser tous ces savoirs afin qu’ils soient repris le plus largement possible. Il n’est pas question de former quelques » expertEs AVEC « . Nous voulons plutôt développer de nouvelles pratiques collectives. Tout cela, nous voulons le traduire par différents moyens qui pourront regrouper tant les méthodes testées et validées que les nouvelles pratiques qui pourront apparaître au fil de notre travail.
-Une tournée : Le premier de ces moyens consistera en une tournée des différents groupes du Collectif. Cette tournée vise à présenter le projet AVEC mais aussi à échanger sur les façons de le concrétiser et sur les pratiques AVEC qui animent déjà le réseau. Nous voulons aller chercher ce qui se fait déjà dans le sens du projet dans chacun des groupes afin d’en faire profiter le plus de gens possible. L’idée n’est pas de surcharger les groupes et tout cela se fait sans trop de flafla. Nous voulons garder toute l’énergie pour l’échange des savoirs.
-Des co-formations : Suite à la tournée (plus tard, vers le printemps peut-être), nous pourrons organiser des sessions de co-formation entre les groupes de différentes régions et/ou entre les groupes qui veulent approfondir telles ou telles méthodes.
-Un livre de recettes : Nous travaillons également à un » livre de recettes » réunissant les différentes facettes du travail AVEC. Ce livre, nous le voyons déjà simple, concret et fait de façon à ce que chacun puisse y ajouter ses propres » recettes « . Il s’agit, en fait, de rassembler par section des fiches d’information sur les savoirs-faire AVEC dans le sens de réflexion, décision et action collectives. Nous pourrons également faire en sorte qu’il y en ait une version sur l’internet de façon à ce qu’il circule aisément.
Hiver 2003