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PL98 LETTRE

Lettre ouverte parue dans le journal Le Devoir le 5 juin 2025

L’Assemblée nationale du Québec vient d’adopter à l’unanimité le projet de loi 98 qui apporte des modifications à la loi électorale. Qui a entendu parler de ce projet de loi? Il est passé complètement inaperçu. Son adoption s’est faite rondement: les consultations particulières se sont déroulées sur une seule journée et l’étude détaillée n’a duré que quelques heures. Et pourtant, en instaurant une période préélectorale pour les tiers, le projet de loi risque d’avoir un impact important sur plusieurs organisations par la restriction de leur liberté d’expression et la limitation de leur participation au débat public. 

Période préélectorale 

Le projet de loi 98 instaure une période préélectorale pour les tiers qui commencera le 1er janvier de l’année des élections générales et se terminera le jour du déclenchement de la période électorale. Au cours de cette période de huit mois, les tiers, c’est-à-dire toute organisation qui n’est pas inscrite comme parti politique, seront dans l’obligation de soumettre un avis d’intention au directeur général des élections du Québec (DGEQ) avant la diffusion de toute «publicité partisane» d’une valeur de plus de 1000 $. Ces organisations auront également à produire, dans les 30 jours suivants le jour du scrutin, un bilan de leurs dépenses publicitaires préélectorales partisanes.  

Le projet de loi instaure également une période préélectorale pour les partis politiques qui commencera, elle, le 1er juillet. Deux poids, deux mesures. 

Excessif et inéquitable 

Lors des consultations particulières, le DGEQ lui-même a jugé la période imposée aux tiers « excessive » et recommandé qu’elle débute à la même date que celle des partis politiques, soit le 1er juillet. Les parlementaires n’ont pas tenu compte de cette recommandation. En créant deux périodes préélectorales, le projet de loi 98 engendre une iniquité entre les différents acteurs politiques. 

Résultat : pendant huit mois, soit presque toute l’année électorale, les tiers risquent de voir leurs interventions publiques tomber sous le coup de la « publicité électorale ». Comment alors commenter un budget, réagir à un projet de loi ou interpeller un élu, sans franchir cette ligne floue ? Ni le projet de loi ni la commission parlementaire ne le précisent.  

Une définition floue 

Un autre problème entourant le projet de loi 98 est le manque de clarté quant à la définition d’une «publicité préélectorale partisane». Le projet de loi définit comme «publicité préélectorale partisane toute publicité diffusée pendant la période préélectorale pour favoriser ou défavoriser directement l’élection d’un candidat ou d’un parti». N’est toutefois pas considérée comme une publicité partisane «la publication, dans un journal ou autre périodique, d’articles, d’éditoriaux, de nouvelles, d’entrevues, de chroniques ou de lettres de lecteurs», de même que la publication d’un livre ou la participation à une émission d’affaires publiques à la radio ou à la télévision.    

Malgré ces exceptions, la définition de «publicité préélectorale partisane» demeure floue. Quelles actions, au cours de la période préélectorale, pourront mener les tiers sans être assujettis à la Loi électorale? Pourront-ils, par exemple, produire un dépliant dans lequel ils critiquent les politiques gouvernementales? Ou encore, pourront-ils organiser une action devant le bureau d’un député afin de dénoncer un projet de loi? Le projet de loi 98 ne répond pas clairement à ces questions et il ouvre la porte à une interprétation large et potentiellement abusive du DGEQ. 

Une contrainte additionnelle 

La production obligatoire d’un bilan complet des dépenses relatives à la diffusion de publicités préélectorales partisanes aura comme impact d’alourdir considérablement la gestion administrative des organisations qui devront s’y plier. Considérant que bon nombre d’organisations n’ont ni les ressources humaines ni les ressources financières pour répondre à cette exigence, celle-ci représente un obstacle supplémentaire à l’exercice de leur liberté d’expression et à leur participation au débat public. 

Le projet de loi 98 fait craindre que tous les quatre ans, pour une période de huit mois, les tiers ne puissent plus exercer pleinement leur mission. Déjà que leur champ d’action est fortement limité durant la période électorale, la création d’une période préélectorale viendrait le limiter encore davantage. Réduire ainsi la parole publique au nom de l’encadrement électoral, c’est affaiblir la démocratie.