12 mars 2021 Réaction aux articles de La Presse sur les 100 ans de la Loi sur l'assistance publique

Une autre histoire de l’assistance sociale

L’histoire de l’assistance sociale telle que racontée par Denis Lessard dans La Presse les 28 février et 1er mars 2021 (ici et ici) souffre d’une importante omission. En donnant la parole à la seule classe politique, M. Lessard passe sous silence la parole des personnes assistées sociales et des organismes qui les défendent. Il laisse dans l’ombre les luttes sociales qui marquent l’histoire de l’assistance sociale depuis un peu plus de 50 ans. Il nous semble important de rappeler cette perspective de l’histoire.

Avec la Loi de l’aide sociale, adoptée en décembre 1969, le gouvernement québécois reconnaissait pour la première fois un droit universel à l’assistance sociale. Le but de l’aide sociale, comme stipulé à l’article 6 de la Loi, est de combler « les besoins ordinaires et spéciaux d’une famille ou d’une personne seule qui est privée de moyens de subsistance ». Pour que ce but ne reste pas un vœu pieux, le gouvernement doit octroyer une aide financière à la hauteur des besoins des prestataires.

Aucun gouvernement n’a jusqu’ici accordé une aide financière suffisante pour respecter le droit à l’assistance sociale. La hauteur des prestations est au cœur des luttes sociales qui se sont amorcées au début des années 1970 et se poursuivent aujourd’hui encore. Rappeler ces luttes, c’est se souvenir que l’aide sociale, par-delà les décisions politiques, concerne des personnes et des familles. Des personnes et des familles qui, ayant vécu et subi les conséquences de ces décisions, sont les véritables témoins de l’histoire de l’aide sociale.

Des luttes pour le respect du droit

En décembre 1971, un an à peine après la mise en œuvre de la Loi de l’aide sociale, l’Association des droits sociaux (ADDS) réclame une augmentation des prestations permettant d’atteindre la couverture des besoins de base. En novembre 1972, quelques centaines de personnes manifestent dans une dizaine de villes du Québec pour dénoncer les premières coupes dans l’aide financière.

En décembre 1981, la porte-parole du Regroupement des assistés sociaux de Sherbrooke rappelle, lors d’une manifestation, que « les prestations d’aide sociale sont à plus de 50 % en dessous du seuil de pauvreté ». Plusieurs groupes, dont l’ADDS et le Front commun des assistés sociaux du Québec, revendiquent une augmentation immédiate des prestations pour maintenir minimalement le pouvoir d’achat des personnes assistées sociales alors durement touchées par la récession économique.

En mai 1988, la Table de concertation contre le projet de loi 37, regroupant plusieurs groupes communautaires, syndicaux, féministes et populaires, prévient que la réforme de l’assistance sociale que s’apprête à adopter le gouvernement aura pour effet d’appauvrir des dizaines de milliers de ménages. De fait, au terme de l’implantation de la réforme en août 1990, 71 000 ménages auront subi une baisse de leurs prestations.

En octobre 1993, le gouvernement révise à la baisse plus de 48 % des prestations. Quelques mois plus tard, il décide également de ne pas indexer les prestations des personnes considérées comme aptes au travail. Cette mesure, appliquée les cinq années suivantes, se traduira par l’appauvrissement d’une part importante des personnes assistées sociales. Toutes ces mesures feront dire au Protecteur du citoyen, en avril 1994, qu’« on est en train d’aggraver la pauvreté en accumulant les mesures sur le dos des plus démunis ».

Le terrain perdu lors des années 1990 n’a jamais été regagné. Au contraire, d’autres mesures en ont fait perdre davantage et aucune augmentation n’est venue atténuer les effets des coupes dans les prestations. Aujourd’hui, le revenu disponible d’une personne vivant seule et considérée comme sans contrainte à l’emploi ne lui permet de couvrir que la moitié de ses besoins de base.

Le poids de l’assistance sociale

Le ministre actuel du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, aime répéter, et pour cause, qu’il y a de moins en moins de personnes assistées sociales. Il faut se réjouir de la diminution du nombre de personnes qui doivent endurer les difficiles conditions de vie engendrées par le système d’assistance sociale, monstre bureaucratique qui préjuge de la malhonnêteté de chaque personne qui demande l’aide financière de l’État. Une épreuve attend ceux et celles qui mettent les pieds dans un bureau d’assistance sociale.

Les conditions de vie des personnes assistées sociales ne se sont guère améliorées au fil du temps. Jamais au cours des cinquante dernières années le gouvernement québécois n’a su mettre en œuvre un véritable droit à l’assistance sociale. Les gouvernements successifs ont entretenu une perception négative du « bien-être social » et poussé les personnes assistées sociales à avoir honte de leur statut. Ne pas tenir compte du climat de suspicion qui caractérise le système d’assistance sociale depuis sa création, ni des préjugés et de l’humiliation que doivent affronter les personnes qui y ont recours, c’est écrire une histoire incomplète.

Serge Petitclerc, porte-parole au Collectif pour un Québec sans pauvreté

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