Lettre ouverte à la population québécoise, à ses organisations et aux éluEs qui la représentent

En marche vers une société sans pauvreté et sans violence : Faire le pas suivant

À vous, femmes et hommes d'ici,
qui aspirez à un Québec qui fasse du sens,

Nous faisons appel à vous aujourd'hui pour inciter le gouvernement à se décider à faire avec nous un pas substantiel vers une société sans pauvreté et sans violence. Vous pouvez peser dans la balance par votre signature aux pétitions du Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté et de la Marche mondiale des femmes, ainsi que par votre présence aux activités prochaines de la Marche.

Une loi sur l'élimination de la pauvreté.

Nous sommes désormais presque 200 000 personnes à vouloir une loi cadre sur l'élimination de la pauvreté et à demander dans une pétition aux membres de l'Assemblée nationale du Québec de recevoir à cet égard la proposition élaborée par le Collectif. En effet depuis trois ans, des milliers de personnes, dont plusieurs en situation de pauvreté, ont réfléchi à ce que devrait contenir une telle loi et pris leur responsabilité citoyenne au sérieux jusqu'à rédiger une proposition de loi en bonne et due forme. Celle-ci innove en dépassant les vœux pieux. Elle énonce des moyens pour atteindre son but : des mesures immédiates puis, sur un horizon de dix ans, trois plans d'action successifs propres à jeter les bases d'un Québec sans pauvreté. Elle met de l'avant des principes retournants et incontournables : faire de la lutte à la pauvreté une priorité, améliorer les revenus des plus pauvres avant ceux des plus riches, associer les personnes qui vivent la pauvreté et leurs associations au processus et recourir à leur expertise. Elle prévoit des mécanismes d'application qui en assureraient le suivi. Cette pétition sera déposée à l'Assemblée nationale quand elle aura atteint les 200 000 signatures. Nous vous invitons à faire partie du nombre.

Une Marche.

Dans les prochaines semaines, à l'initiative des femmes du Québec, nous serons des milliers, ici et ailleurs dans le monde, à participer à la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence. C'est sûrement une première dans l'Histoire. Et c'est en même temps un signe des temps : les femmes savent que cette planète est en sursis et que son avenir dépend de la capacité des présentes générations à chercher ce qui construit le bien commun et à contrer ce qui le détruit, dans l'économie, dans les relations entre les personnes et les sociétés, dans le rapport à l'environnement. Elles veulent pour la planète un développement durable, viable, humain. Elles savent que c'est possible et bon pour tous, parce que depuis des siècles elles en font l'expérience fragmentée mais néanmoins réelle dans les petites et grandes zones qu'elles parviennent à libérer ou du moins à protéger de la pauvreté et de la violence. Les demandes québécoises, canadiennes et internationales de la Marche sont fondées. Elles ouvrent, à partir de l'expérience des femmes, des chemins possibles dans des situations impossibles. Nous vous proposons de marcher avec elles pour ouvrir l'Histoire.

Le Premier ministre interpellé.

Le 29 août dernier, les deux organisations ont demandé au Premier ministre du Québec de travailler avec le Collectif à faire exister une vraie loi sur la base de la proposition du Collectif et de commencer ce travail en permettant au Collectif d'expliquer au gouvernement sa proposition et les fondements de celle-ci. Elles ont aussi demandé au Premier ministre des réponses substantielles aux demandes de la Marche, qui rejoignent plusieurs mesures immédiates prévues dans la proposition du Collectif. Ceci parce que la vie, elle, n'attend pas et qu'il y a urgence de donner un signal de volonté politique aux personnes qui en sentent quotidiennement le poids. En somme, les deux organisations ont demandé au gouvernement de faire un saut au-delà de son terrain habituel d'action et de décision en faisant confiance à des démarches citoyennes imposantes amorcées par des femmes et des hommes qui ont une expérience concrète des situations impossibles qu'on vit dans les marges de ce terrain et qui, en raison même de cela, voient les limites des raisonnements habituels et entrevoient des façons inédites de poser et de résoudre le problème.

Il est toujours un peu inquiétant de sauter dans l'inconnu. Le gouvernement pourrait être tenté de rester sur son quant à soi, au risque de reproduire les problèmes connus aux marges des terrains rebattus. Il va aussi se demander si la population serait prête à suivre un gouvernement qui s'engagerait dans un projet de société plus généreux et plus solidaire, du type de ce que nous proposons, un projet où ce qui arrive à l'autre compte.

La population interpellée.

Nous pensons que oui parce que le contraire est insensé. Ça ne fait pas de sens qu'une partie de la population n'ait pas les revenus nécessaires, par l'emploi ou la sécurité du revenu, pour couvrir ses besoins essentiels. Ça ne fait pas de sens de travailler à temps plein et d'être pauvre quand même parce que le salaire minimum ne permet pas de sortir de la pauvreté. Ça ne fait pas de sens que les écarts s'accroissent entre nous et que les décisions budgétaires de nos gouvernements, québécois et fédéral, aient pour effet net d'augmenter ces écarts. Ça ne fait pas de sens que des entreprises et des marchés qui ne visent qu'à concentrer la richesse mondiale dans les mains d'un petit nombre fassent la pluie et le beau temps dans notre vie collective. Ça ne fait pas de sens d'être humiliéE, de voir sa vie vérifiée à la loupe et son temps contrôlé à l'heure près pour un léger supplément de revenu lié à des mesures qui ne sont même pas des emplois. Ça ne fait pas de sens de voir son accès à la richesse commune réduit ou de risquer des coups et sa vie parce qu'on est une femme. Ça ne fait pas de sens de déréglementer la vie des plus riches et d'ajouter obstacle sur obstacle dans la vie des plus pauvres. Accepter ça, c'est accepter de jouer à la loto d'une société à deux poids, deux mesures. Ce n'est pas le Québec qu'on nous a enseigné ni celui que nous voudrions enseigner à nos enfants.

Il est possible de se comporter autrement. Notre société en a les moyens. Les derniers budgets fédéraux et québécois le démontrent. D'ailleurs personne ne contestera que la vraie richesse est d'abord humaine. Alors il faut apprendre à remettre les dollars à leur place, comme des moyens pour faire circuler la richesse dans toutes les couches de la société et dans tous ses espaces. Il faut un retournement : vouloir que la vie s'améliore en premier pour celles et ceux qui en subissent les manques. Ce qui suppose de l'écoute et une capacité de se laisser déranger et transformer par celles et ceux qui ont l'expérience des trous et des bosses. C'est un défi qu'aucun gouvernement ne peut relever sans sa population.

Faire ensemble le pas suivant.

Nous pensons qu'il y a dans cette société un désir suffisant pour opérer ce retournement et oser penser plus large que la loi du marché, dont la limite est d'avoir besoin de perdants pour pouvoir faire des gagnants. Mais c'est à vous de répondre. Par vos signatures et votre présence, mais aussi par toutes les initiatives que vous voudrez bien prendre pour marquer votre volonté de construire au Québec une société sans pauvreté et sans violence et pour dire aussi au gouvernement de ne pas avoir peur. Quand les femmes ont voulu voter, les gouvernements ont eu peur. Et aujourd'hui l'accroissement du nombre de femmes députées et ministres est une occasion de fierté. Sortir d'un cercle vicieux, c'est la seule façon d'évoluer. Et le pas fait pour en sortir peut sembler coûteux, mais il n'est pourtant jamais que le pas suivant. En 1948, l'humanité a fait un grand pas en proclamant, dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, l'égalité en dignité et en droits de tous les êtres humains. C'était beaucoup de le reconnaître. Nous savons maintenant que la pauvreté et la violence empêchent cette égalité reconnue d'être effective. Le temps est venu de faire le pas suivant et de lever, au mieux de notre connaissance actuelle, les obstacles connus. Alors faisons ce pas puisqu'il ne se fera pas sans nous. Faisons-le quitte à évoluer, à étonner, à nous affirmer... et à en ressentir une certaine fierté! Quitte à nous demander un jour pourquoi nous ne l'avons pas fait avant.

Vivian Labrie, pour le Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté
Françoise David, pour la Marche mondiale des femmes


Créé le2 octobre 2000
Dernière modification4 novembre 2015

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