Abandon de l'engagement à la gratuité des médicaments

Lettre ouverte au Ministre de la Santé et des Services sociaux, M. Philippe Couillard

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Create Date24 mai 2004
Last Updated18 août 2015
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Monsieur le ministre,

Vous avez déclaré le 21 mai dernier en marge du Symposium sur l’utilisation optimale du médicament, à Québec, que vous ne seriez pas en mesure de respecter l’engagement de votre gouvernement et de votre parti à rétablir la gratuité des médicaments pour les personnes les plus pauvres. «Dans l’état actuel des choses, on n’a pas les moyens de se payer ça», avez-vous déclaré (Le Soleil, 22 mai, p. A9). On parle ici d’un montant que vous situez à 20 M$ par année, un détail dans le budget de la santé, une épreuve une fois reporté dans le budget mensuel d’une personne pauvre.

Faites le test suivant. Vous êtes sans emploi malgré tous vos efforts. Vous recevez 6 400$ en aide sociale pour tout revenu pour une année, plus les remboursements de TVQ et de TPS. Maintenant prenez votre revenu d’un mois, soit 533$ plus 22$ pour le supplément de TVQ. Payez votre loyer : il vous reste combien ? Ajoutez les autres dépenses fixes, électricité, téléphone, transport, une petite assurance sur vos biens en cas de malheur. Laissez faire les vêtements. Craignez les imprévus et les bris comme la peste. Il vous reste combien ? Avec ce qu’il vous reste, s’il vous en reste, prévoyez votre budget de nourriture pour le mois. Essayez de faire mieux que Monique, qui calcule un gros 26 $ par semaine. Alors à partir de quelle journée dans le mois n’avez-vous plus aucune liquidité, plus aucune marge de manœuvre ni dans le portefeuille ni dans le compte à la caisse ? Sans logement social, sachez que bien de personnes ayant plus d’expérience que vous en petits budgets ne se rendent pas au quinze du mois. Bon. Maintenant tombez malade, disons un 20 du mois. Vous allez voir votre médecin, qui vous prescrit des médicaments, disons avec de bonnes raisons dans le cas qui nous occupe. Avez-vous le 17$ nécessaire pour avoir accès aux médicaments que votre médecin vous prescrit ? Dans l’état actuel des choses, vous n’avez pas les moyens de vous payer ça.

Qu’allez-vous faire ? Emprunter ? Vous en passer ? Attendre au premier du mois ?Une chose est sûre : votre niveau de stress a grimpé et, quoi que vous fassiez, vous venez de faire un pas de plus, et votre société avec vous, dans l’engrenage qui fait de la pauvreté un déterminant majeur de la mauvaise santé. Ce petit incident, répété dans votre vie, dans votre entourage et dans votre voisinage, vient contribuer au fait que l’espérance de vie dans le quartier très pauvre où vous habitez est de dix ans inférieure à celle du quartier voisin, beaucoup plus riche.

Ce petit incident n’est pas une fatalité. Avant l’instauration de l’assurancemédicaments, les personnes assistées sociales aptes au travail avaient accès gratuitement aux médicaments qui leur étaient prescrits, ce besoin essentiel n’étant pas inclus dans le calcul de leur prestation. Quand ensuite on leur a imposé une franchise et une co-assurance de 17$ par mois, on n’a pas relevé leur prestation en conséquence. Pire, leur prestation a perdu de son pouvoir d’achat depuis, par défaut de l’indexer régulièrement et complètement. Ce qui fait que les prestataires sont encore moins en situation aujourd’hui qu’à l’époque de faire face à cette dépense.

Nous allons en convenir, le coût des médicaments est en croissance galopante au Québec. Il faut y voir. Tout comme il faudrait des prestations d’aide sociale qui couvrent vraiment les besoins essentiels, il faut trouver des moyens de contrôler ça, en sachant que les vrais responsables du coût sont ceux qui produisent les médicaments et ceux qui les prescrivent. Ce n’est toutefois pas une raison pour ne pas se préoccuper maintenant de la nécessité vitale de donner accès au bon médicament au bon moment.

Vu que personne n’a les moyens, ni le ministre, ni les plus pauvres, posons une autre question : qui a les moyens de défrayer les coûts reportés sur le système de santé public par l’incapacité de personnes déjà rendues malades par leur trop faible revenu d’accéder en temps et lieu aux médicaments qui leur sont nécessaires ?

La solution la plus économique en terme de rapport des dépenses de santé sur le PIB est certainement un régime public universel d’assurance-médicaments associé à une meilleure régulation de la prescription, avec la gratuité complète pour les personnes à faible revenu. En attendant une politique du médicament qui y donnerait lieu, la société a tout à gagner à protéger l’accès aux médicaments de ceux et celles de ses membres qui n’ont même pas les revenus suffisants pour couvrir leurs besoins essentiels.

Vous allez dépenser le 20 M$ en question de toute façon, que ce soit pour rétablir la gratuité des médicaments ou pour réparer les dégâts occasionnés par le fait de ne pas le faire. La différence est en santé économisée. Et dans la différence de réalisation d’un droit reconnu.

Je vous demande un rendez-vous.

Bien à vous,

Vivian Labrie,

Collectif pour un Québec sans pauvreté 24 mai 2004