19 avril 2022 Article tiré du bulletin de la FAFMRQ de mars 2022

Minimum 18$: une coalition pour un salaire décent

Une nouvelle coalition a récemment vu le jour pour revendiquer un salaire minimum décent. Composée d’une dizaine[1] de partenaires communautaires et syndicaux considérant que le temps était venu de revoir la cible de 15$ l’heure portée pendant cinq ans, la coalition entend talonner le gouvernement pour qu’il hausse, le plus rapidement possible, le salaire minimum à au moins 18$ l’heure. D’où son nom: Minimum 18$!

(Article de la porte-parole du Collectif, Virginie Larivière, tiré du bulletin de la FAFMRQ de mars 2022)

TRAVAILLER ET RESTER PAUVRE

Depuis 2019, la mesure du panier de consommation (MPC) est le seuil officiel de pauvreté au Canada. La MPC mesure le montant minimal que doit débourser une personne ou une famille pour couvrir ses besoins de base (nourriture, habillement, logement, transport, autres biens et services). Toutefois, pour les partenaires de Minimum 18$, la simple couverture des besoins de base ne saurait représenter la sortie de pauvreté[2].

Pour asseoir sa revendication sur une base plus ambitieuse, la coalition a retenu deux autres indicateurs, soit la Mesure de faible revenu à 60 % du revenu médian (MFR-60) de Statistique Canada et le Revenu viable de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques. Selon ces indicateurs, le montant de 18$ représente le taux horaire minimum nécessaire pour qu’une personne qui travaille à temps plein toute l’année puisse espérer sortir de la pauvreté au Québec.

En 2020, plus de mille personnes avec un salaire de 20$ l’heure ou moins ont répondu à un sondage du Collectif pour un Québec sans pauvreté. Le sondage cherchait entre autres à savoir ce qui changerait dans la vie des personnes au bas de l’échelle advenant une augmentation importante du salaire minimum.

Les réponses, éloquentes, illustrent bien le poids de la pauvreté dans le quotidien, mais aussi dans le parcours d’une vie.

J’aurais sûrement eu un parcours scolaire plus facile et plus rapide qui m’aurait permis de rentrer sur le marché du travail plus rapidement, mais quand il faut que tu travailles en allant au cégep… moi, ça m’a pris quatre ans faire mon préuniversitaire en sciences pures. Le fait que ça a pris quatre ans, ça retarde tout, le fait que t’es pognée dans ton salaire minimum plus longtemps parce qu’il faut que tu travailles plus pour subvenir à tes besoins, tu n’as pas le temps de te consacrer à tes études. (Amélie, agente en sensibilisation communautaire)

Avoir un meilleur salaire pour moi ça ferait en sorte que je pourrais probablement move out de mon appartement où il y a de la moisissure et régulièrement des infestations et dans lequel je partage ma chambre. (Sophie, barista)

[Je ferais des] économies! Des économies, moi je veux dire, je n’ai pas de caisse de retraite, je n’ai pas de fonds de pension là, [avec] ma job, moi, je n’aurai rien en finissant pis je vais être usée à la corde. (Mary Ann, éducatrice et préposée)

Ce qui m’a impacté le plus, c’est quand j’ai réalisé que je n’avais même pas les moyens de payer un cours de danse de 15 semaines à mon enfant. (Luc, travailleur dans le commerce)

Comme un vieux disque qui saute, les groupes patronaux et le gouvernement répètent depuis des années que le meilleur rempart contre la pauvreté, c’est l’emploi. Or, cette affirmation est fausse pour les travailleurs et travailleuses rémunéré·es au salaire minimum! Et malheureusement, elle restera fausse après la hausse de 0,75$ qui portera le salaire minimum à 14,25$ l’heure le 1er mai prochain.

Selon le Bilan-Faim, un rapport produit par les Banques alimentaires du Québec, le nombre de personnes avec des revenus d’emploi qui ont eu recours à leurs services a connu une hausse de 40% entre mars 2019 et mars 2021. Cette hausse serait attribuable à la pandémie et à la forte poussée inflationniste des derniers mois. Dans un contexte où aliments, logement et transport connaissent une augmentation sans précédent depuis 1991, la nécessité d’augmenter de façon importante le salaire minimum, et ce, le plus rapidement possible, apparaît plus que jamais comme une évidence.

DÉCONSTRUIRE LES MYTHES

Malgré tout, les groupes patronaux, comme à leur habitude, appellent le gouvernement à la prudence, arguant qu’une hausse trop élevée du salaire minimum entraînerait de nombreux effets négatifs : perte massive d’emplois, décrochage scolaire, hausse des prix à la consommation. Or, aucune de ces prévisions alarmistes, essentiellement basées sur des modèles et des théories économiques, ne résiste à une analyse empirique sérieuse. L’analyse des effets de certaines augmentations substantielles du salaire minimum montre que les catastrophes qui avaient été annoncées ne se sont pas concrétisées. Pour le dire simplement : plusieurs mythes sont colportés année après année par le patronat et le gouvernement!

Un des mythes les plus tenaces veut qu’un salaire minimum trop élevé entraîne la destruction de milliers d’emplois. Or, des études démentent ce mythe. C’est le cas notamment des travaux de David Card et Alan Kruger[3], qui arrivent à la conclusion que la hausse de 19% du salaire minimum au New Jersey en 1992 n’avait pas engendré de perte d’emplois. En observant les effets de la hausse après son entrée en vigueur, les chercheurs sont arrivés à des résultats beaucoup plus nuancés que ceux obtenus à partir des prédictions habituelles.

À l’époque, les travaux de ces deux économistes ont suscité énormément de controverse, tant ils bouleversaient les assises théoriques développées sur le sujet. En 2021, près de trente ans après leur publication, ces travaux ont valu à David Card[4] d’être nommé co-lauréat du prix Nobel d’économie.

Un autre exemple: en 2011, le gouvernement de la Colombie-Britannique a annoncé une augmentation du salaire minimum de 28%. Gelé depuis presque 10 ans, le salaire minimum allait passer de 8$ à 10,25$ l’heure. Préoccupé par cette annonce, l’Institut Fraser avait prédit que, selon sa boule de cristal, cette hausse entraînerait la perte de plus de 52000 emplois chez les jeunes de moins de 25 ans, soit 16% des emplois occupés par ce groupe d’âge. La hausse entra en vigueur, telle qu’annoncée.

Le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) a analysé les effets de cette hausse sur l’emploi des jeunes salarié·es: non seulement les pertes d’emplois ont été bien moindres que celles annoncées par l’Institut Fraser (3800 emplois, ou 1,6%, chez les 15 à 24 ans entre 2010 et 2013), mais le taux d’emploi a par la suite augmenté pour se rétablir, en 2015, au même niveau qu’en 2010. De quoi renoncer à cette boule de cristal, non ? D’autant que les résultats obtenus par Card et Kruger et par le CCPA ne sont pas des cas isolés[5].

Il serait également temps que le gouvernement délaisse l’argument de l’économiste Pierre Fortin qui prétend que le salaire minimum doit idéalement équivaloir à 47% du salaire moyen, et ne jamais dépasser 50%. Selon Fortin, «chaque fois qu’on augmente ce rapport d’un point de pourcentage, on détruit 8000 emplois[6]».

Après avoir limité le salaire minimum à 47% du salaire moyen à partir de la fin des années 1990, le gouvernement, sous la pression du mouvement réclamant 15$ l’heure, a déplacé en 2017 le curseur du ratio, afin de fixer le salaire minimum à 50% du salaire moyen. Les prophéties de Fortin ne se sont pas réalisées. Elles ne se sont pas réalisées non plus sur le marché de l’emploi de la Nouvelle-Écosse, de la Colombie-Britannique, de l’Ontario, de l’Alberta et de l’Île-du-Prince-Édouard, qui ont vu passer au cours des dernières années leur ratio au-delà du seuil de 50%. Certaines d’entre elles l’ont même fait passer au-delà de 55%. Voilà qui ébranle sérieusement la théorie de M. Fortin.

18$ L’HEURE LE PLUS RAPIDEMENT POSSIBLE

Que le patronat élabore son discours à partir d’énoncés qui vont dans le sens de ses intérêts, cela n’a rien de surprenant. Mais que le gouvernement reprenne à son compte ces mêmes énoncés pour déterminer le taux du salaire minimum et refuse catégoriquement d’augmenter le salaire minimum au-delà de 50% du salaire moyen, voilà qui est dérangeant.

Il est non seulement possible d’augmenter de façon importante le salaire minimum, il est même souhaitable de le faire! Même le journal britannique The Economist — qui n’est pas reconnu pour ses analyses de gauche — plaidait récemment qu’il est temps de revoir nos façons d’étudier les effets du salaire minimum[7].

Qu’attend donc le gouvernement pour s’intéresser à ces travaux et s’en inspirer? Qu’attend-il donc pour rendre véridique l’affirmation voulant que le travail soit le meilleur rempart contre la pauvreté? Qu’attend-il pour augmenter le salaire minimum à 18$ l’heure?

[1] Le Front de défense des non-syndiqué·es, le Collectif pour un Québec sans pauvreté, le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants, la Confédération des syndicats nationaux, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, la Centrale des syndicats démocratiques, la Centrale des syndicats du Québec, le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec et l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux

[2] Pour une critique de l’indifférenciation entre «couverture des besoins de base» et «sortie de la pauvreté» et des implications qui en découlent, voir Ducharme et Dupuis, Seuil officiel de pauvreté: une confusion à dénoncer. Le Devoir, section Libre opinion, 13 novembre 2018. URL: https://www.ledevoir.com/ opinion/libre-opinion/541198/seuil-officiel-de-pauvrete-uneconfusion-a-denoncer

[3] Card et Kruger, 1994. Minimum Wages and Employment: A Case Study of the Fast-Food Industry in New Jersey and Pennsylvania, The American Economic Review, Vol. 84, No. 4., pp. 772-793. URL: https://davidcard.berkeley.edu/papers/ njmin-aer.pdf

[4] Puisque Alan Kruger est décédé en 2009 et que le Nobel n’est pas remis à titre posthume, seul David Card l’a reçu

[5] Voir notamment : Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (2021), Analyse d’impact économique – Révision du taux général du salaire minimum, p.28; Direction des statistiques du travail et de la rémunération (2011), Hausse du salaire minimum au Québec et évolution de l’emploi : que disent les données statistiques?, feuillet de l’Institut de la statistique du Québec Doucouliagos et Stanley (2009), Publication Selection Bias in Minimum-Wage Research? A Meta-Regression Analysis, British Journal of Industrial Relations, pp.406-428

[6] Radio-Canada, 2016. Le salaire minimum à 15 $, «une bombe atomique», selon Pierre Fortin. URL: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/809095/salaire-minimum-fortin-15-dollars-emplois-education [consulté en ligne le 4 février 2022]

[7] The Economist, 2020. What harm do minimum wages do? URL: https://www.economist.com/schools-brief/2020/08/15/what-harmdo-minimum-wages-do [consulté en ligne le 4 février 2022]

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